Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

09 juin 2023

Les gens qui plantent

Poirier_Gens qui plantentOuvrage de Marie Poirier et Xavier Fender.

Je découvre avec bonheur un nouveau petit volume de la jolie collection publiée par les éditions Venterniers. « Les gens qui plantent rêvent de pousser. » Ici, il est question de nature, de patience, d’évasion et d’un amour immense pour ce qui est à venir. Moi, face au bébé myosotis que j’étais de faire pousser, je me sens aussi impuissante qu’insuffisante. Mais j’attends, et on verra bien… « Les gens qui plantent font confiance au temps. » Dans des vignettes vives, les dessins sont des griffonnements légers très précis et très beaux. Chaque phrase est un aphorisme doux et plein d’espoir. « Les gens qui plantent énormément font pousser des livres. »

Après Les gens qui likent, Les gens qui cherchent leur chat, Les gens qui dansent et Les gens qui s’aiment, je vais continuer à explorer cette collection délicate et poétique.

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07 juin 2023

Walk me to the corner

Furmark_Walk me to the cornerRoman graphique d’Anneli Furmark.

Elise a 56 ans. Elle est mariée à Henrik depuis des années. Leur vie de couple est monotone, mais pleine de respect et de confiance : les conjoints ne se cachent rien. Alors, quand Elise rencontre Dagmar et que son cœur s’emballe, elle n’en cache rien à son époux. « Ce qu’elle voulait plus que tout au monde, c’était mettre son bras autour de la taille de Dagmar et ne jamais l’en retirer. » (p. 20) Pendant un temps, elle essaie de concilier son mariage et cette passion nouvelle. Les messages tombent en cascade entre les deux femmes quand elles sont séparées. Elise sait qu’un choix est nécessaire, mais avant qu’elle ait eu le temps d’en faire un, la décision de quelqu’un d’autre s’impose à elle.

J’ai été formidablement émue par cet amour lesbien entre deux femmes d’âge mûr. Les grands sentiments n’appartiennent pas à la jeunesse et ils font feu de tout bois. L’autrice dessine avec pudeur le bouleversement que cette rencontre engendre dans plusieurs vies. Les dessins sont simples, mais très expressifs. J’ai passé un très beau moment de lecture.

Furmark_Walk me to the corner-1

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05 juin 2023

Du côté des Indiens

Roman d’Isabelle Carré.

Quatrième de couverture – Ziad, 10 ans, ses parents, Anne et Bertrand, la voisine, Muriel, grandissent, chutent, traversent des tempêtes, s’éloignent pour mieux se retrouver. Comme les Indiens, ils se sont laissé surprendre ; comme eux, ils n’ont pas les bonnes armes. Leur imagination saura-t-elle changer le cours des choses ? La ronde vertigineuse d’êtres qui cherchent désespérément la lumière, saisie par l’œil sensible et poétique d’Isabelle Carré.

J’avais beaucoup apprécié le premier texte de l’autrice, Les rêveurs, et je suis très sensible à son travail de comédienne. Je me suis lancée dans son deuxième roman avec confiance et espoir. Hélas, rencontre manquée… J’ai abandonné à la moitié, ne parvenant pas à surmonter l’ennui qui s’est installé dès les premières pages. Je ne sais pas si c’est le passage d’un personnage à un autre, les errances entre passé et présent ou encore les choses dites à demi-mot, mais je n’ai pas réussi à m’accrocher aux histoires qui m’étaient racontées.

Tant pis, il y a beaucoup d’autres choses à lire !

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02 juin 2023

Phèdre

Tsvetaeva_PhedrePièce de théâtre de Marina Tsvétaeva.

J’ai récemment relu (et tout aussi peu apprécié) Phèdre de Jean Racine. Cela a donné lieu à de passionnants échanges avec mon groupe de lecture, et plusieurs d’entre nous se sont demandé à quoi ressemblerait cette histoire racontée par une femme. En cherchant un peu, voilà comment je suis tombée sur ce texte de l’autrice russe Marina Tsvétaeva.

Ici, le drame est simplifié, tout comme le nombre de protagonistes. Il y a Phèdre, évidemment, Hippolyte tout à sa passion pour la chasse et entièrement dévoué à la vierge et farouche Artémis, Thésée impérial et enfin la nourrice qui précipite tout le tragique. « Qui que ce soit, il n’y a pas de mal, ni de peur / Si ce n’est pas ton fils par le sang. » (p. 41 &42) Après avoir arraché l’aveu d’amour de la malheureuse Phèdre, la vieille femme veut être rétribuée des soins qu’elle a donnés en nouant une terrible liaison, imposant à la reine de vivre l’amour qu’elle refuse. Comme dans les classiques, la femme tourmentée ose ouvrir son cœur à l’inaccessible Hippolyte, mais, rejetée et souffrant déjà tant de l’exil loin de Crète, elle se pend pour en finir avec ses tourments. La miséricorde finale de Thésée est plus humaine que chez Racine, et l’autrice jette un nouvel éclairage sur ce mythe millénaire. « L’écume d’Hippolyte et la sueur de Phèdre / Ne sont pas des menées de vieilles femmes, mais / Une affaire ancienne, une querelle connue, antique. / Pas de coupable. Tous innocents. » (p. 79)

En peu de pages, Marina Tsvétaeva modernise la figure de Phèdre et me la rend presque sympathique. Cela tient surtout au fait que l’autrice, au travers de l’héroïne tragique, parle d’elle et de son propre exil d’URSS. Les dieux ne président plus aux destinées des hommes et des femmes : ce sont désormais d’autres hommes qui malmènent les êtres.

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31 mai 2023

Quand Hitler s'empara du lapin rose

Kerr_Quand hitler sempara du lapin roseRoman de Judith Kerr, illustré par l’autrice.

En 1933, Anna a 9 ans et elle mène la vie simple et heureuse d’une petite fille entourée d’amis et d’une famille aimante. Mais en Allemagne, son père est menacé, car il écrit ouvertement contre Adolf Hitler et ses projets. « Si vous ressemblez à tout le monde et que vous n’allez pas dans une église spéciale, qu’est-ce qui te dit que vous êtes juifs ? Comment pouvez-vous en être sûrs ? » (p. 9) La famille s’installe donc en Suisse en espérant un retour rapide à l’apaisement dans son pays. Mais l’exil se prolonge et les ressources viennent à manquer, car personne ne veut publier les articles de Vati. « On dirait que les Suisses sont si jaloux de leur neutralité qu’ils rechignent à publier les écrits d’un anti-nazi notoire comme moi. » (p. 66) Parents et enfants partent donc en France où il faut apprendre une nouvelle langue et attendre des jours meilleurs pendant que les nouvelles d’Allemagne ne rassurent pas.

Avec ce récit très autobiographique, l’autrice raconte une enfance aux portes de la guerre, dans un monde qui efface la frontière avec le monde adulte. L’innocence existe encore, avec les disputes entre frère et sœurs, des jeux simples et les petites fiertés scolaires, mais la peur s’incarne en toutes choses, comme ce lapin rose si doux qu’il a fallu abandonner en quittant le pays. Je comprends pourquoi ce roman est un classique jeunesse de la littérature anglaise.

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29 mai 2023

Vénère : Être une femme en colère dans un monde d'hommes

Merakchi_VenereEssai de Taous Merakchi.

Quatrième de couverture - « Parce que je suis une femme, j’ai peur de sortir seule la nuit, de porter des vêtements qui me plaisent, d’exprimer mon opinion ou mes émotions. Ces peurs sont à l’origine d’une immense colère que j’essaie de contenir tant bien que mal. Cette colère, ça fait désormais trente-quatre ans que je vis avec et qu’elle me ronge les tripes, au point de se retourner régulièrement contre moi. Lassée d’être seule à en subir les conséquences, j’ai donc cherché à comprendre quels en étaient les origines et les éléments déclencheurs, afin de l’assainir et de la diriger non plus contre moi-même, mais contre ceux qui la méritent. » Taous Merakchi prend ici la parole pour toutes les femmes qui n’en peuvent plus d’avoir peur, de ne pas être prises au sérieux et de toujours devoir se justifier.

L’autrice parle de sa colère d’être à la merci de la convoitise débridée et poisseuse des hommes, sa colère d’avoir peur quand elle marche dans la rue la nuit, sa colère d’avoir peur des hommes en permanence, sa colère de savoir ce que vivra sa fille, simplement parce qu’elle est femme. « C’est pas tellement qu’on fait le choix d’être en colère, c’est qu’on ne peut pas faire autrement, quand on choisit d’ouvrir vraiment les yeux. » (p. 32) La colère, chez Taous Merakchi, ce fut longtemps une douleur intérieure et brûlante : elle en a fait un moteur et une force.

Un immense merci, Taous Merakchi, d’avoir mis les mots sur ce qui me torture souvent, à savoir ne pas être raffinée et élégante dans mon quotidien et dans mes rages. Et pourquoi faudrait-il que je le sois ? Pourquoi ma colère devrait-elle être polie, policée ? Elle est belle comme elle est : foutraque, brouillonne, bouillonnante, hystérique, féministe, féminine.

La colère est légitime parce que l’indifférence et la patience ont fait leur temps. Le ressenti brut, brutal, c’est la preuve qu’on existe encore et qu’on a quelque chose à défendre : une cause, son corps, la liberté, ce que vous voulez.

Évidemment, ce texte va directement dans ma bibliothèque féministe !

Je vous laisse avec des extraits forts, très forts.

« Ne me regardez pas, sauf si c’est pour me craindre, m’admirer respectueusement, ou vous prosterner sur mon chemin. C’est pourtant pas compliqué. » (p. 40)

« Comment pourrais-je lutter contre les hommes si je leur apparais aussi bête et aussi futile qu’ils m’imaginent ? Comment faire valoir ma parole si mes références sont plus hollywoodiennes que sorbonnesques ? Et pourtant, c’est là que j’ai trouvé, pour l’instant, la meilleure illustration de ma rage. C’est là que je vois mon reflet, que je me sens entendue, écoutée, comprise et représentée. Alors j’y vais à mon rythme, et chaque jour je lutte pour ne pas culpabiliser, pour ne pas me juger, pour ne pas me mépriser, et je me nourris des autres plutôt que de me comparer à eux, et un jour, peut-être, viendra l’équilibre. Et ma colère trouvera mieux à faire ailleurs, je l’espère. » (p. 13)

« Ce qui me fascine dans cette émotion et le rapport qu’on entretient avec elle, c’est son côté cheval de Troie. Quand la colère domine notre bouquet d’émotions personnel, elle cache toutes les autres en elle. Quand on ouvre la trappe, on peut voir tomber la peur, la tristesse, l’anxiété, les névroses diverses et variées accumulées au fil des années, tout est lié. » (p. 20)

« On nous refuse des libertés et des droits fondamentaux, on n’a pas le droit aux mêmes privilèges, et en plus on s’étonne quand on s’en offusque et on nous accuse d’être naïves et d’ignorer la nature humaine. » (p. 50)

« Je m’en veux de continuer à faire la roue pour des tocards qui ne savent même pas s’essuyer le cul correctement. Et pourtant, j’ai constamment peur de les décevoir, quand je les aime, et de leur paraître inférieure, même quand je les méprise. » (p. 119)

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26 mai 2023

La reine de l'Idaho

Savage_Reine de lIdahoRoman de Thomas Savage.

Thomas Burton reçoit une lettre d’une femme prétendant être sa sœur aînée, abandonnée par leur mère à sa naissance, en 1912. Pour l’écrivain du Maine, c’est impensable : jamais Beth, sa mère si belle et si douce, n’aurait fait une telle chose. Et pourtant, il y a des documents qui semblent prouver cette terrible décision. « J’étais debout près de mon bureau, douloureusement conscient de ce passé pas très lointain où je n’avais rien à faire. » (p. 251) De son côté, Amy, adoptée bébé par les McKinney, essaie de savoir qui est cette femme qui a pu ainsi se séparer d’elle, quelques instants après son premier cri. Des décennies plus tôt, on rencontre Emma Sweringen, matriarche à la tête de la fortune familiale, femme d’affaires intelligente et redoutable. « Emma était comme un feu de broussailles. Quand on l’arrêtait d’un côté, elle repartait de l’autre. » (p. 155) Elle veille férocement sur sa famille et ses enfants, bien décidée à leur offrir le meilleur futur possible, notamment à sa fille Beth.

La construction de ce roman est très réussie. Plutôt que de présenter une recension fastidieuse de tous les membres de cette famille et de leurs existences, l’auteur présente une histoire lacunaire, où les chronologies se mélangent et s’embrouillent, comme tout récit fait à plusieurs voix. Cela donne une somme tout à fait réaliste où se mêlent les secrets, les souvenirs flous et partiels, les lettres et les mensonges. L’histoire devient presque légende, les chagrins prennent la place des vivants et ces derniers doivent réapprendre ce qu’est une famille, même s’il y a des sacrifices auxquels il faut consentir, quitte à s’arracher le cœur.

De cet auteur, j’ai déjà énormément apprécié Le pouvoir du chien, superbement adapté au cinéma par Jane Campion. Je ne peux que vous recommander cet autre roman, et je me réjouis que les éditions Gallmeister republient l’œuvre de Thomas Savage.

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24 mai 2023

Les gens qui dansent

Marcella_Gens qui dansentOuvrage de Marcelle, illustré par Marie Poirier.

En phrases courtes où résonne tant de beauté, Marcella nous parle du mouvement des êtres. « Les gens qui dansent se débordent avec élégance. » Sa poésie est un peu étrange, douce et étonnante, entre quotidien et inconnu. On ne sait si le geste sera gracieux ou brisé, mais on sent que le membre doit bouger exactement comme ça, pas autrement. Les illustrations sont dynamiques, rehaussées d’un bleu profond en à-plat qui figure tout le mouvement. C’est simple et très émouvant.

Maintenant que j’ai lu quatre titres de la collection « Les gens » aux éditions Les Venterniers (maison du Nord !!!), je veux tout lire. Je suis conquise par ces petits livres pas tout à fait carrés, au papier épais relié à la main, avec une sur-couverture pliée qui fait comme une bague. J’aime les beaux ouvrages et ceux-là sont précieux tant ils sont délicats.

Les gens qui s'aiment, Les gens qui cherchent leur chat et Les gens qui likent.

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22 mai 2023

Les gens qui s'aiment

Marcella_Gens qui saimentOuvrage de Marcelle, illustré par Elsa Hieramente.

Qui sont-iels, ceux et celles qui s’aiment ? « Les gens qui s’aiment sont nus. » En courtes phrases éminemment poétiques, l’autrice nous parle de ces gens-là avec tendresse. « Les gens qui s’aiment se laissent partir. » On les envie, on les admire, les gens qui s’aiment, même s’ils sont souvent agaçants, comme ces amoureux·ses qui se galochent sur les bancs publics alors qu’on est soi-même seul comme une chaussette abandonnée.

C’est avec ce titre que les éditions Les Venterniers ont lancé la collection « Les gens ». J’ai déjà lu avec plaisir Les gens qui likent et Les gens qui cherchent leur chat. J’apprécie ce petit format poétique, relié à la main et numéroté. Du travail d’orfèvre, un bijou de papier ! Les illustrations au trait sont minimales, mais très expressives.

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19 mai 2023

Les gens qui cherchent leur chat

Lataste_Gens qui cherchent leur chatOuvrage de Carole Lataste.

L’autrice écrit et illustre le vide laissé par le compagnon félin introuvable. « Les gens qui cherchent leur chat exposent dans la rue. » Entre affichettes pleines d’espoir et phrases un peu désabusées, elle nous rappelle que la solitude n’est pas solitude quand on vit avec un chat. Quand on le perd, la place inoccupée est béante et le cœur infiniment triste. « Les gens qui cherchent leur chat vous collent leur manque. » Alors, ces propriétaires esseulés attendent qu’on les appelle pour leur dire que leur matou est retrouvé. « Les gens qui cherchent leur chat vous remercient. »

J’ai découvert la collection « Les gens » avec Les gens qui likent, et j’apprécie vraiment ce petit format poétique illustré. Ce volume en particulier est tendre, doux-amer, électrique comme la fourrure du chat gorgée de soleil.

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