Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

15 mai 2010

Orgueil et préjugés

Orgueil_et_pr_jug_sRoman de Jane Austen. Lecture commune avec Cynthia et Liliba.

Mr et Mrs Bennet ont cinq filles: Jane, Elizabeth, Mary, Catherine et Lydia. "L'unique objectif de Mrs Bennet était marier ses filles." (p. 9) Quand le domaine voisin de Netherfield Park est loué par un jeune homme aux rentes confortable, elle est persuadée que l'une de ses filles deviendra très vite la maîtresse de ces lieux. Le doux et discret Mr Bingley s'éprend rapidement de Jane. Les deux jeunes personnes s'entendent à merveille et leurs caractères semblent s'accorder à la perfection. L'ami de Bingley, le ténébreux Mr Darcy, après avoir dédaigné les charmes d'Elizabeth, succombe à sa vivacité d'esprit dénuée d'affectation et de minauderie. Après des péripéties causées par des personnes malveillantes et jalouses et alimentées par les préjugés que chacun conçoit à l'égard des autres, l'issue est heureuse pour les deux couples.

"C'est une vérité universellement reconnue qu'un homme célibataire doté d'une certaine fortune est nécessairement à la recherche d'une épouse." (p. 7) Voilà comment s'ouvre le roman, sur un préjugé qui se pare des atours de l'universalité, qui enchaîne les jugements hâtifs et incisifs. L'auteure ne souscrit en rien aux préjugés que véhiculent ses personnages. Le ton désabusé et sarcastique de Mr Bennet à l'égard de son épouse est le sien, tout comme les réflexions sages et pertinentes d'Elizabeth sont l'expression de ses propres idées. Le roman nous est livré par une troisième personne tout à fait anonyme dont les yeux et la voix sont pourtant ceux de Jane Austen, au meilleur de son ironie et de sa férocité.

Férocité, c'est ce qu'il convient de ressentir entre les lignes des descriptions des personnages secondaires. Mr Bennet est un homme indifférent aux sujets qui causent l'agitation fébrile de son épouse. "Il n'était redevable envers son épouse que dans la mesure où elle contribuait à l'amuser par son ignorance et sa sottise. Ce n'est pas là le genre de bonheur qu'un homme souhaite en général devoir à sa femme, mais quand font défaut les autres facultés de divertir, le vrai philosophe tire profit de celles qui sont à sa disposition." (p. 226) Goguenard, il néglige tout autant ses filles cadettes dont il "ne [cherche] jamais à limiter l'inconduite écervelée" (p. 205) quand elles se jettent au cou des officiers du régiment établi dans la ville voisine.

Les portraits qui ornent la première de couverture, visibles à la Bridgeman Art Library, annoncent ceux qui seront faits des personnages tout au long du livre. De bals en promenades dans la campagne, de conversations sur les prochains mariages en supputations amoureuses, le récit ne s'embarasse pas de délicatesse quand il s'agit de se moquer des travers des petits nobles et petits bourgeois.

Jane, bien que fille aînée de la famille Bennet, n'est pas le personnage principal de cette critique acide de la société campagnarde anglaise. Sa fadeur et son écoeurante magnanimité s'accordent en tout point avec la paleur de son fiancé qui écoute davantage les avis de son entourage que les élans de son coeur. Elizabeth est la vraie héroïne du roman. Prompte à réagir et à dire ce qu'elle pense, tout en respectant les meilleurs usages de la société (ce n'est pas tout de même pas une rebelle!), elle s'enorgueillit de ses facultés de jugement. Il me semble qu'elle préfigure des personnages comme Jo des Quatre filles du Dr March, des femmes qui décident de leur avenir et construisent leur bonheur avec discernement, sans s'en laisser imposer par la famille ou les puissants.

Quelle terrible vision du rôle de la femme est ici présentée! La seule préoccupation de toute jeune fille bien née et sensée est de se trouver rapidement un époux riche. La cadette de la famille Bennet se jette au cou du premier guignol venu, brade sa vertu et cause bien des tracas à sa famille. La voisine se marie raisonnablement, en choisissant un homme médiocre qui ne l'aimera jamais et pour lequel elle n'éprouvera probablement pas beaucoup plus de sentiments. Jane rencontre son âme soeur, en toute mièvrerie. Même Elizabeth, si elle se défend de céder aux nombreuses avances qui lui sont faites, plonge avec délice et ravissement dans les pièges du mariage dès lors qu'elle est persuadée de faire le bon choix. Seule Mary retient mon attention et mon admiration. Elle est la seule fille Bennet à préférer ses livres aux agitations des bals et des rencontres amoureuses.

"L'orgueil [...] me semble un défaut très répandu. [...] On peut être orgueilleux sans être vaniteux. L'orgueil vient de l'opinion que nous avons de nous-même, la vanité, de ce que nous voudrions que l'on pensât de nous." (p. 23) Les vaniteux se bousculent aux portes des salons où les personnages évoluent. Le cousin de Mrs Bennet, Mr Collins, pasteur infatué, n'a rien à envier à la superbe arrogance de Lady Catherine de Bourgh qui pense que sa supérioté la dispense de toute amabilité sincère. Les courtisans bornés sont aussi nombreux que les puissants persuadés de leur importance, et les deux expèces font montre d'une vulgarité toute dénuée de politesse et de modestie.

Je me suis régalée avec ce roman typiquement britannique et féminin. La plume acerbe de Jane Austen m'a ravie. Pas de complaisance à attendre de son côté. Et si le mariage et les relations amoureuses ne sont plus soumis aux mêmes règles que celles décrites dans le roman, il y a toujours du vrai dans les comportements hypocrites des uns et des autres.

 

 

 

Lectures_communes

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Orgueil_et_pr_jug_s_et_zombiesJ'ai enchaîné avec la lecture de Orgueil et préjugés et zombies, de Jane Austen et Seth-Grahame Smith. "Seth Grahame-Smith est un écrivain et scénariste américain qui ne s'est jamais remis de la lecture de Jane Austen."

Quoi de neuf dans le chef-d'oeuvre de Jane Austen? Les cinq filles Bennet ont toujours leur petit caractère, Mrs Bennet cherche toujours à les marier et les préjugés vont toujours bon train dans la petite société qu'elles fréquentent. Tout est pour le mieux, ou presque. Depuis quelques générations, Dieu a fermé les portes de l'Enfer, et les zombies sortent de terre pour se repaître de cervelles et contaminer les vivants. Les occupations des jeunes filles de bonne famille sont alors un peu différentes. Au lieu de s'exercer au point de croix ou au piano, elles passent des heures dans le dojo familial, où elles s'entraînent au combat et affutent leurs armes. Les soeurs Bennet sont le Pentagramme de la Mort et défendent la région des attaques des zombies.

"C'est une vérité universellement reconnue qu'un zombie ayant dévoré un certain nombre de cerveaux est nécessairement à la recherche d'autres cerveaux." (p. 7) La première phrase du roman est habilement réécrite. Mais pour le reste du texte, il n'y a pas beaucoup à dire. La traduction des deux versions est l'oeuvre du même homme, Laurent Bury. Seth Grahame-Smith a conservé le texte de Jane Austen et s'est contenté d'insérer de temps en temps des évènements horrifiques.

Mais l'horreur est traitée sur le mode de la dérision. Les cadavres ambulants en décomposition sont ridicules, les massacres sont hilarants, les combats sont improbables. On sent tout le passé de scénariste de l'auteur. Il y a du Tarantino là-dessous, des références aux mauvais films de zombies ou aux films de sabre asiatiques.

Le roman de Jane Austen est réputé pour la représentation d'un univers extrêmement féminin et féminisé, où tout tourne autour de la jeune fille à marier. La réécriture de Seth Grahame-Smith injecte un peu de testostérone dans ce monde saturé d'oestrogène. Dans les salons, on ne joue pas au whist, mais à Caveau et Cercueil, un jeu de cartes assez macabre. La dentelle et les rubans ont fait place aux fusils Brown Bess et sabres Katana. Les gouvernantes sont remplacées par des maîtres du temple Shaolin et des guerriers ninjas. Le salon de lecture où les femmes se retrouvent est devenu un dojo où les filles s'exercent à la position de la Grue, de la Blanchisseuse enivrée, des Griffes du Léopard ou du Paysan balayé par le vent. Une dispute entre femmes où les mots faisaient mouche tourne au combat au sabre où le sang coule. Les priorités ont changé: "L'unique objectif de Mr Bennet était de maintenir ses filles en vie. Celui de Mrs Bennet était de les marier." (p. 9) Mr Bennet gagne un peu de crédibilité dans cette version. Il n'est plus ce bonhomme reclus dans sa bibliothèque. Il a à coeur de préserver sa famille. Il faut dire que le principal sujet de conversation a changé, et qu'il peut enfin se rendre utile!

Étrange rencontre que celle de l'univers anglais et du monde asiatique. Des références typiquement britanniques sont renversées. À l'heure du thé, on boit plutôt du jus de bambou noir. Les jardins anglais deviennent des jardins zen avec des bassins où nagent des carpes koï. La réécriture est amusante, mais après quelques pages, je suis vite revenue au texte original.

Les premières de couverture de deux livres ont été habilement travaillées. La réécriture présente les mêmes portraits que ceux exposés sur l'original. Mais ils ont subi des avaries. On croirait voir toute la famille de Dorian Gray après des années de vicissitude. La tapisserie rose est fânée, dégradée par l'humidité et la poussière.

Orgueil_et_pr_jug_s   Orgueil_et_pr_jug_s_et_zombies

 

La lecture est amusante, mais pas vraiment édifiante. L'oeuvre de Jane Austen n'y gagne rien, si ce n'est davantage d'éclat quand on la compare à sa cadette.

Posté par Lili Galipette à 07:49 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [8] - Permalien [#]
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Commentaires sur Orgueil et préjugés

  • Je suis en train de rédiger mon billet. Pas évident de canaliser mes impressions sur ce livre, il y a tant à en dire !
    Je me demandais justement ce que valait la version zombies. Même si la couverture et la première phrase me font rire, je ne suis pas certaine d'adhérer à tout le roman.

    Posté par Cynthia, 15 mai 2010 à 12:32 | | Répondre
  • @ Cynthia

    La version zombies doit être intéressante pour les passionnés, sinon c'est bof...

    Posté par Lili Galipette, 15 mai 2010 à 13:53 | | Répondre
  • Chapeau bas pour ces deux lecture et ces deux billets !
    Je ne me verrais pas lire des "classiques" si denses...

    Posté par clara, 15 mai 2010 à 15:13 | | Répondre
  • @ Clara

    Oh, c'est un classique très digeste, et très drôle!!

    Posté par Lili Galipette, 15 mai 2010 à 15:32 | | Répondre
  • Beau billet !

    Posté par liliba, 15 mai 2010 à 17:54 | | Répondre
  • @ Liliba

    Merci!
    J'attends le tien!!

    Posté par Lili Galipette, 15 mai 2010 à 17:55 | | Répondre
  • Je n'ai pas lu le deuxième livre dont tu parles, et je ne compte absolument pas le lire...
    Je trouve que ta comparaison entre Elizabeth Bennet et Jo March est très juste puisque toutes les deux ont une grande capacité critique. Mais, elles ne sont pas pour autant des "rebelles". Elles reproduisent toutes les normes sociales de l'époque : elles se marient, ont des enfants...

    Posté par Fleur, 15 mai 2010 à 18:05 | | Répondre
  • @ Fleur

    Tu ne perds rien en ne lisant pas le second livre.
    Mais je précise bien que les deux héroïnes et particulièrement Elisabeth ne diffère pas des autres femmes. Elle est rebelle dans la mesure où cela la démarque des autres femmes et lui permet d'attirer l'attention d'un homme lassé des minauderies habituelles. Mais elle se jette promptement dans le mariage, j'en conviens!

    Posté par Lili Galipette, 15 mai 2010 à 18:08 | | Répondre
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