Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

15 novembre 2010

Les sorcières d'Eastwick

Sorci_res_d_EastwickRoman de John Updike. Lettre U de mon Challenge ABC 2010. Lecture commune du mois de novembre sur le forum de Babelio.

Alexandra, Jane et Sukie sont trois femmes divorcées. Elles sont aussi sorcières et déploient des pouvoirs considérables quand il s'agit de nuire aux personnes qui leur sont néfastes: déclencher des tempêtes, nouer des auguillettes, faire cracher des plumes, modeler des fétiches vaudous, rien ne les arrête! Leurs premières victimes ont été leurs époux. À elles trois, elles créent un cône de pouvoir sous lequel leur magie s'exerce et au sein duquel elles conservent force et puissance. Toutes maîtresses d'hommes mariés, elles prônent une vie débarassée de la tutelle masculine. L'arrivée de Darryl Van Horne, homme mystérieux, tentateur, frustre, incarnation du Mal, leur donnent des sueurs froides. Si Alexandra se voit bien finir sa vie avec cet homme, elle n'est pas seule à le convoiter. Les trois amies connaissent dans le manoir qu'il occupe des parties fines qui confinent à l'orgie et à la débauche la plus poussée. L'intrusion de la jeune Jenny, fille de l'amant décédée de Sukie, dans leurs messes noires, renversent le pouvoir. Alexandra, Jane et Sukie s'allient pour combattre celle qui leur volent leur homme, leur espoir et leur confiance.

L'ouverture in medias res m'a immédiatemment captivée. J'ai sauté dans le livre à pieds joints et je m'y suis plu. La compagnie des trois sorcières est un baume pour les âmes complexées. Ni fantastiquement belles, ni particulièrement talentueuses, Alexandra, Jane et Sukie déploient des trésors de séduction qui sont le reflet de leur confiance en elles-mêmes. Certaines de leurs charmes, sachant en user, elles avancent tête haute dans une société où l'émancipation féminine est encore une injure. Un peu artiste, chacune s'exprime dans la matière. Alexandra réalise des petites bonnes femmes en céramique, Jane manie l'archet avec assez de talent pour que son violoncelle soit demandé dans les paroisses et Sukie met sa plume au service du journal local.

En pleine tourmente de la guerre du Viet-Nam, elles osent penser à autre chose et proclamer le pouvoir féminin: "Seule une conjuration de femmes empêche le monde de s'écrouler." (p. 35) Elles se savent investies d'un pouvoir sans fin, celui de guérir et d'apaiser. Elles revendiquent l'adoration des hommes et la reconnaissance de leur puissance matricielle: "Les hommes sont violents. [...] Même les plus doux. C'est biologique. De n'être que de simples auxiliaires de la reproduction, ça les rend fou de rage." (p. 249)

Eastwick est une bourgade particulière: "Il décuplait les pouvoirs des femmes, ce bon air d'Eastwick." (p. 17) Dans l'état de Rhode Island, il y a comme une enclave où les femmes divorcées développent des pouvoirs surprenants. Personne n'ose le dire mais tout le monde sait que les trois amies ne sont pas tout à fait des femmes normales. Souvent évoquée, Anne Hutchinson semble être le modèle féminin ultime.

Darryl Van Horne est un personnage inquiétant. Ses mains couvertes de poils noirs fascinent et dégoûtent. Il dégage une odeur de soufre qui ne laisse aucun doute sur ses accointances. Ses travaux chimiques et ses grandes innovations technologiques ne sont que de la poudre aux yeux. Baratineur et vulgaire, les lèvres sans cesse maculées de salive, il incarme le démon lubrique, attirant et répugnant, auxquels les femmes rêvent de se frotter sans oser l'avouer. Peu à peu, il supplante les autres amans des trois amies, il devient leur unique référent.

L'ironie a la part belle dans la narration. Les femmes mariées enchaînées à leurs époux, les enfants boulets, les chiens baveux sont tous gratifiés de portraits au vitriol. Alexandra, Jane et Sukie s'y entendent pour faire connaître le fond de leur pensée. La langue de bois n'est pas de mise et le puritanisme américain est bien mis à mal. La fin du récit qui se projettent plusieurs années plus tard est aussi très ironique. Alexandra, Jane et Sukie n'ont pas être pas réussi si bien qu'elles le croyaient...

Loin de partager toutes les idées féministes des trois héroïnes et de loin de souscrire à toutes leurs recommandations et pratiques, j'ai apprécié ce livre pour l'éclairage qu'il apporte sur les seventies en Amérique. S'il y a les hippies et le Flower Power, il y a aussi les femmes et les bourgades provinciales engoncées dans les conventions d'un autre âge. L'écriture de John Updike est drôle, flirtant avec le sublime et le grostesque, oscillant entre la préciosité et la vulgarité. La question de l'instance narratrice m'a beaucoup tourmentée: le narrateur utilise parfois le "nous", mais ne s'identifie pas. Il semble appartenir à la communauté bien-pensante d'Eastwick, mais il semble aussi prendre le parti des sorcières. Donc, un grand flou autour de ce narrateur.

Le film de George Miller, paru en 1987, avec Jack Nicholson, Michel Pfeiffer, Susan Sarandon et Cher est un bon film. Nicholson crève l'écran, comme toujours. Mais... ce film ne ressemble au livre que par le titre! Tout est inversé ou ignoré. Dommage... Les deux oeuvres peuvent se lire/voir indépendamment l'une de l'autre, aucune ne déflore l'autre!

Et je rappelle qu'on parle de de ce livre ce mois-ci sur le forum de Babelio!

Posté par Lili Galipette à 08:01 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [10] - Permalien [#]
Tags : ,

Commentaires sur Les sorcières d'Eastwick

  • ton billet donne envie d'aller y voir de plus près! mais pas tout de suite pour moi... trop de retard dans mes lectures !

    Posté par George, 15 novembre 2010 à 09:48 | | Répondre
  • @ George

    Idem... c'est la pagaille dans mes étagères!

    Posté par Lili Galipette, 15 novembre 2010 à 09:53 | | Répondre
  • Tout pareil que George!

    Posté par clara, 15 novembre 2010 à 15:31 | | Répondre
  • @ Clara

    Panique chez les blogueuses? Emplois du temps surchargés?
    Bises

    Posté par Lili Galipette, 15 novembre 2010 à 15:34 | | Répondre
  • Petite, le film m'avait complètement traumatisée Je pensais qu'il était assez fidèle au livre et je n'ai donc jamais poussé plus loin mais pourquoi pas si tu dis que l'intrigue est vraiment différente.

    Posté par zarline, 15 novembre 2010 à 15:54 | | Répondre
  • @ Zarline

    Absolument! Dans le livre, Van Horne n'a pas un pouvoir aussi fort. Il est le diable, certes, mais pas explicitement. Ce sont les femmes qui sont les vraies sorcières et depuis longtemps!

    Posté par Lili Galipette, 15 novembre 2010 à 16:00 | | Répondre
  • Je l'ai lu mais quelque chose m'avait échappé dans ce roman, sans que je sois capable vraiment de dire quoi. L'ambiance est prenante, mais un truc est resté flou.

    Posté par Mélusine, 15 novembre 2010 à 20:03 | | Répondre
  • @ Mélusine

    C'est chez toi que j'avais piqué l'idée!

    Posté par Lili Galipette, 15 novembre 2010 à 20:06 | | Répondre
  • Je me souviens du film et je croyais qu'il était plutôt fidèle au roman...
    Or je n'ai pas le souvenir d'un tel contexte historique ni de sorcières ouvertement féministes.
    A lire donc mais plus tard comme le disaient Clara et George

    Posté par Cynthia, 15 novembre 2010 à 22:12 | | Répondre
  • @ Cynthia

    Au début du film, les filles n'ont aucun pouvoir et elles finissent avec un moutard chacune.
    Dans le livre, elles sont des sorcières aguerries et farouchement décidées à ne prendre des hommes que ce qu'elles veulent!

    Posté par Lili Galipette, 15 novembre 2010 à 22:15 | | Répondre
Nouveau commentaire