Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

25 mars 2011

Lignes de faille

Lignes_de_failleRoman de Nancy Huston. Lettre H de mon Challenge ABC critiques Babelio. Lecture commune avec Anne et Anne.

Sol, 2004, Californie. Randall, 1982, New York et Haïfa. Sadie, 1962, Toronto. Kristina, 1944 et 1945, Allemagne. Ces quatre personnages ont six ans et sont les échelons d'un chemin à rebours du temps. Kristina est la mère de Sadie, elle-même mère de Randall qui est le père de Sol. Du haut de leur enfance, ils racontent leur vie et leurs rapports avec leurs parents et grands-parents. Cette famille se construit autour de silences, de secrets percés à jour et de douleurs qui s'héritent. Ces enfants ont des images puissantes de leur personne. Si Sol se voit lumineux et intouchable, Sadie se sent cernée par l'Ennemi et contrainte à la perfection et à la flagellation pour connaître le bonheur. D'une génération à l'autre, un grain de beauté, qui se niche un peu partout, atteste de la véracité du lien qui unit les quatre personnages. Chaque enfant connaît sa guerre, intimement ou pas : Irak, Liban, Allemagne sont les théâtres des terreurs et rêves enfantins.

Une fracture béante inaugure la lignée. Kristina, ou quel que soit son prénom, vient de nulle part. Les parents qu'on lui connaît ne sont pas les siens. Si Kristina a décidé de se libérer de ce manque, Sadie s'acharne à creuser la faille plus profond. Ce qu'elle met au jour est un des épisodes les plus méconnus de la seconde guerre mondiale, un épisode à ajouter à l'horreur qui déborde déjà. Kristina est une enfant volée en Ukraine: la perfection de ses traits, conformes au type aryen, faisait d'elle une candidate idéale pour repeupler l'Allemagne nazie décimée. Kristina a sublimé la douleur en devenant une chanteuse mondialement reconnue. Sadie expie le passé en étudiant et enseignant avec acharnement la question du Mal. Randall choisit de se battre en retrait et participe à l'effort de guerre américain en créant un nouveau soldat parfait. Sol, en bout de ligne, a tous les choix. Mais chez lui, la marque de famille est dangereuse : inscrite sur son visage, elle témoigne d'une douleur et d'un secret qu'il n'est plus possible de taire.

Je suis partagée à la fin de cette lecture. La construction du récit est intelligente et ménage les révélations. Chaque enfant tire sur le fil de la vérité et dévide un peu plus la bobine. Les épisodes s'achèvent toujours sur une découverte dont on pressent qu'elle est majeure. Mais au bord de la faille, la vérité se dérobe et il faut repartir à la rencontre d'un nouvel enfant. Le récit est mené successivement par chaque personnage : entre famille et terreur, ils se construisent un monde régi par des rites et des croyances censés conjurer le mauvais sort. Quand le cérémonial échoue, c'est la vie qui bascule et la parole passe à la génération précédente.

Mais je n'ai pas été convaincue par le langage des personnages. Ils ont tous six ans et, aussi doués soient-ils, il est invraisemblable qu'ils s'expriment ainsi. Ces personnages d'enfants ne sont pas crédibles. C'est dommage, car le sujet est intéressant et bien traité. Il ne tombe pas dans le macabre et ne dénonce pas vainement les méfaits de l'Allemagne nazie. Nancy Huston expose une situation et ses conséquences trois générations plus tard. Il aurait fallu adapter le langage aux personnages ou les penser plus âgés. L'émotion peine à sourdre des pages. Les révélations sont terribles et bouleversantes. Le regard innocent de l'enfant qui ne sait pas qu'il a ouvert une porte avait toutes les chances d'accroître l'émotion, mais pour moi, rien n'y a fait, les formes d'expression des personnages ont endigué le sentiment.

 Lectures_communes  Challenge_ABC_Babelio 

Posté par Lili Galipette à 07:00 - Ma Réserve - Lignes d'affrontement [18] - Permalien [#]
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Commentaires sur Lignes de faille

  • C'est dommage que tu n'aies pas plus aimé que ça. Mis à part la première partie avec Sol qui m'a énervée (je ne supportais pas ce gosse et sa façon de faire), j'ai totalement adhéré au roman. Ce fût pour moi une belle découverte.

    Posté par belledenuit, 25 mars 2011 à 08:36 | | Répondre
  • @ belledenuit

    Je suis restée bloquée sur le langage des enfants, trop improbable...
    Mais le fond est très bien !
    Merci de ton passage et à bientôt.

    Posté par Lili Galipette, 25 mars 2011 à 08:38 | | Répondre
  • Ah dommage !

    Posté par clara, 25 mars 2011 à 09:19 | | Répondre
  • @ Clara

    Oui, je suis passée à côté alors que j'en avais entendu le plus grand bien.

    Posté par Lili Galipette, 25 mars 2011 à 09:21 | | Répondre
  • Je l'ai dans ma PAL ! Bah zut alors, ton avis mitigé me contrarie un peu, car j'avais beaucoup aimé en son temps Cantique des plaines... On verra !! ,)

    Posté par Asphodèle, 25 mars 2011 à 09:41 | | Répondre
  • @ Asphodèle

    Aie aie... j'ai l'impression d'être un chien dans un jeu de quilles... Les avis sont autrement très positifs. J'avais beaucoup aimé L'empreinte de l'ange.
    Alors ne t'arrête pas à mon avis ! Je te conseille de lire ceux des deux Anne avec qui j'ai partagé cette LC : elles en disent du bien.
    Bonne journée !

    Posté par Lili Galipette, 25 mars 2011 à 09:45 | | Répondre
  • Ton billet est magnifique (c'est vrai que tu en dis beaucoup sur le livre), même si tu n'as pas été touchée, tu fais ressentir de nombreux aspects du livre. Je suis davantage restée dans l'émotion. J'aime bien ta façon de parler du grain de bauté de Sol.

    Posté par Anne, 25 mars 2011 à 10:05 | | Répondre
  • @ Anne

    Merci Anne !
    Il fallait bien que je trouve quelque chose à dire sur le livre... Ne pas aimer ne signifie pas toujours decendre en flèche !
    Bonne journée !

    Posté par Lili Galipette, 25 mars 2011 à 10:08 | | Répondre
  • Ce n'est vraiment pas le livre que j'ai préféré de N Huston alors que c'est celui qui l'a fait vraiment connaitre. C'est clair que ses précédents sont pour moi bien meilleurs Instruments des ténèbres ou L'empreinte de l'ange ou les variations Goldberg.

    Posté par Delphine, 25 mars 2011 à 14:45 | | Répondre
  • @ Delphine

    Ah, tu me rassures !! J'avais l'impression d'être passée à côté de quelque chose de fabuleux. J'ai nettement préféré, comme toi, L'empreinte de l'ange.

    Posté par Lili Galipette, 25 mars 2011 à 14:51 | | Répondre
  • Grande amatrice de Nancy Huston je suis. Mais je n'ai pas lu celui-ci...

    Posté par Margotte, 25 mars 2011 à 21:31 | | Répondre
  • @ Margotte

    J'espère qu'il te plaira. A bientôt !

    Posté par Lili Galipette, 25 mars 2011 à 21:39 | | Répondre
  • Cela fait un moment déjà que l'on me conseille cette auteure. Je pensais commencer avec celui-ci mais ton avis m'a un peu refroidi

    Posté par Cynthia, 26 mars 2011 à 15:08 | | Répondre
  • @ Cynthia

    Ma parole n'est pas d'or... va voir les avis des autres, ils sont plus positifs que le mien !
    Mais je suis flattée que tu aies une telle confiance dans mon jugement !

    Posté par Lili Galipette, 26 mars 2011 à 15:30 | | Répondre
  • Lili, ton article est super bien écrit et construit ; j'aimerais savoir faire des billets comme les tiens mais les mots restent coincés dans ma tête...
    Malgré quelques bémols, j'ai bien aimé cette lecture et j'ai été très contente de faire cette lecture commune avec toi et Anne. Bises.

    Posté par Anne, 26 mars 2011 à 16:29 | | Répondre
  • @ Anne

    Merci pour le compliment Anne !
    Les lectures communes, c'est vraiment l'opportunité de sortir des étagères des bouquins qui commencent à rancir ! Au plaisir de te retrouver sur d'autres LC !

    Posté par Lili Galipette, 26 mars 2011 à 17:23 | | Répondre
  • Ce livre est dans ma PAL depuis des lustres mais j'hésite toujours à le lire car je peine souvent avec les narrateurs enfants. Ce que tu dis sur le manque de crédibilité de la parole des enfants me rassure presque en fait Bon, à voir...

    Posté par zarline, 28 mars 2011 à 09:42 | | Répondre
  • @ Zarline

    Cela te rassure ? Hum... si tu es aussi sensible que je le suis à la crédibilité des propos, ça devrait t'inquiéter !
    Bonne journée !

    Posté par Lili Galipette, 28 mars 2011 à 10:15 | | Répondre
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