Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

15 avril 2011

Les mêmes yeux que Lost

M_mes_yeux_que_LostEssai de Pacôme Thiellement.

Que vous ayez applaudi ou maudit la fin de la série Lost, en aucun cas vous n'y avez été indifférent. Que vous portiez J. J. Abrams, Damon Lindelof et Carlton Cuse aux nues ou que vous les vouiez aux gémonies, vous ne pouvez nier qu'ils ont créé une oeuvre qui se refuse à l'interprétation facile. Ce que propose ici l'auteur, ce ne sont pas des réponses aux questions que la série a soulevées, c'est plutôt un regard particulier qui accompagne le lecteur et invite le spectateur à cheminer lui-même à la rencontre du possible sens de la série.

"Le conflit principal au coeur de Lost n'est pas, comme les scénaristes l'ont longtemps prétendu, celui entre la science et la foi. Ce n'est pas non plus, comme certains personnages se sont maladroitement essayés à le suggérer, celui entre le Bien et le Mal. [...] La polarité centrale de Lost est celle de la confiance et de la tromperie. Et cette polarité est le corollaire du conflit entre la fiction et ses règles et le monde réel et son anomie." (p. 31) Le principal reproche que les fans ont adressé aux scénaristes et à la série, c'est d'avoir déçu leurs attentes. Comme les personnages qui vivent et font vivre des trahisons, d'aucuns ont estimé que la série avait trahi ses promesses et ses spectateurs. "Curieusement, ces fans mécontents ne se sont jamais demandé s'ils ne pouvaient pas trouver, en eux-mêmes, le sens de ces fameuses énigmes. [...] Ils ont beaucoup exigé de Lost en échange du temps passé à en regarder les épisodes. Ils ne se sont pas demandés si Lost, en retour, pouvait exiger quelque chose d'eux en échange du temps passé à les écrire et à les réaliser." (p. 38) Pacôme Thiellement invite le spectateur à ouvrir les yeux. Pour ce faire, il convient de rompre les amarres et de repousser une pensée occidentale moderne et matérialiste qui empêche l'accès au sens véritable et à la compréhension.

Lost_Premiere_image

"L'ouverture des yeux, l'éveil à sa véritable nature, est le leitmotiv de Lost qui va de pair avec le variateur de perspective que représente l'attribution d'un nouveau centre, incarné par un personnage différent à chaque épisode." (p. 33) Devant la série, le spectateur ne doit pas ouvrir les yeux que pour voir, mais pour comprendre et pour être. Lost n'est pas une fiction qui se satisfait de la passivité. Lost a des échos dans la réalité, la fiction sort de son cadre pour nourrir le réel. Pour ce faire, elle a besoin que le spectateur s'éveille à elle et à la vérité et, finalement, à lui-même. "Lost est une doctrine de l'éveil dont chaque éveil passe par une négation systématique de l'éveil vécu précédemment par le sujet." (p. 33)

La série a poussé les spectateurs dans une recherche de la gnose et du sens. Or, la découverte la plus fondamentale de cette quête semble être l'acceptation de l'absence de sens, le lâcher-prise face à l'impalpable. "Lost est une fiction sur le rôle de la fiction de notre vie. Et le caractère déceptif de toute fiction est le noyau de sa propre fiction. Lost est une exploration de la "demande de conclusion" propre à tout spectateur regardant une fiction, et une méditation sur les conséquences possibles de l'absence de conclusion.". (p. 58) Considérer la fiction inachevée comme une initiation, tel est peut-être le message ultime de Lost. Le spectateur, bardé de doutes et de questions, a alors accès à une connaissance plus sûre que celle qui lui aurait été délivrée sans recherche ni remise en question. "La fiction peut se faire la plus transfiguratrice possible, nous restons encore étrangers à son opération tant que nous ne l'avons pas transformée en méthode. [...] Une fiction qui ne sert pas à illuminer la vie ne vaut rien." (p. 115 & 116)

Pacôme Thiellement inscrit Lost sur un palimpseste. Avant la série, un mythe ancestral indo-européen évoquait déjà une île et une source de lumière - la connaissance - protégées par un gardien éternel et retiré de l'action, le Roi du Monde : "Maître du Temps, il ne participe pas aux actions des hommes, mais les conditionne toutes, et il se tient, par le non-agir, immobile au centre du mouvement comme le moyeu au centre de la roue." (p. 21) Ce que l'auteur veut faire comprendre, c'est que si Lost est une production du monde moderne véhiculée par un média moderne, la série n'en est pas moins nourrie et ancrée dans une pensée traditionnelle que le spectateur doit tenter de comprendre pour cerner l'harmonie de la fiction.

Lost renvoie aux oeuvres d'Henry James, notamment L'image dans le tapis, ou à la série Twin Peaks. Elle s'inscrit dans la lignée des textes à clé et des cheminements initiatiques. Rien ne sert d'assener des vérités : elles seront systématiquement battues en brèche par des révélations éphémères et transitoires. Le sens de Lost n'est pas figé, il n'est pas unique et il n'est pas inaccessible. Pacôme Thiellement propose un essai à la fois intelligent et intelligible sur la série qui a fait tressaillir des millions de spectateurs. Le propos est élégamment rédigé et très accessible. Les amateurs et détracteurs de la série y trouveront des clés en pour poursuivre la redécouverte. Parce que Lost n'est pas une fiction que l'on peut appréhender en une seule fois. Elle exige la patience, l'humilité, le renoncement et le recommencement.

Un grand merci à Nathalie qui m'a indiqué en commentaire la remarquable intervention de Pacôme Thiellement dans l'émission Mauvais genre sur France Culture. Je vous invite à l'écouter !

Posté par Lili Galipette à 15:50 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [8] - Permalien [#]

Commentaires sur Les mêmes yeux que Lost

  • J'ai abandonné cette série en cours de route parce que je n'y comprenais plus rien ! Un jour Locke était mort, le lendemain il ne l'était plus, l'île n'arrêtait pas de bouger et on se retrouvait plongé dans plein d'époques différentes bref série difficile à suivre pour moi, j'ai préféré jeter l'éponge...
    Je penserai à cet essai si je m'y remets un jour

    Posté par Cynthia, 15 avril 2011 à 16:32 | | Répondre
  • @ Cynthia

    Moi, je suis contente d'avoir tenu bon, même si le dernier épisode m'a laissée sceptique dans un premier temps. L'essai de Pacôme Thiellement ne peut que me convaincre de poursuivre ma découverte de la série !
    Et toi, vilaine fille, tu vas reprendre ça vite fait ! Non mais !!

    Posté par Lili Galipette, 15 avril 2011 à 16:37 | | Répondre
  • Mouais. J'ai beaucoup aimé les premières saison de Lost mais après ça devient vraiment du n'importe quoi et j'ai l'impression que même les scénaristes ne savaient plus ou ils mettaient les pieds. Je ne pense pas que cet essai va pouvoir me convaincre du contraire

    Posté par zarline, 15 avril 2011 à 16:44 | | Répondre
  • @ Zarline

    J'ai partagé cette idée pendant la saison 4. Mais les deux dernières saisons vérouillent l'histoire et justifient les questionnement.

    Posté par Lili Galipette, 15 avril 2011 à 16:46 | | Répondre
  • MERCI TF1 !! :o

    Ce n'est pas cette série que je remets en cause ici, justement je l'adorais ! Mais la diffusion relâchée de TF1, l'heure tardive ont eu raison de ma bonne volonté et c'est dommage quand je lis tes lignes... En fait, il me faudrait acheter l'intégrale en DVD et tout reprendre dès le départ !! Rien que pour le beau Sayre, je casserais ma tirelire (peut-être) un de ces jours...

    Posté par Asphodèle, 15 avril 2011 à 20:12 | | Répondre
  • @ Asphodèle

    Aucun problème avec TF1 (puisque je ne regarde pas la télé...)
    J'ai commencé à regarder la série en 2008 (avant c'était prépa et stage à l'étranger, donc pas le temps...) sur DVD.
    Ensuite, j'ai trouvé les saisons sur le net à mesure que les épisodes sortaient aux USA.
    L'intégrale en DVD, j'y songe... Ah, revoir Benjamain Linus, Charlotte et Jacob !

    Posté par Lili Galipette, 15 avril 2011 à 21:19 | | Répondre
  • Bonjour,
    si cela t'intéresse l'auteur était présent dans une émission de radio récemment :
    http://www.franceculture.com/emission-mauvais-genres-pacome-thiellement-2011-04-02.html
    On peut encore l'écouter, il a un rire formidable, ce Pacôme...

    Posté par nathalie, 16 avril 2011 à 13:28 | | Répondre
  • @ nathalie

    Merci pour l'info ! Je vais écouter ça !

    Posté par Lili Galipette, 16 avril 2011 à 14:05 | | Répondre
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