Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

20 juillet 2011

Espèces d'espaces

Especes_d_espacesTexte de George Perec. Un grand merci à celui qui m'a offert ce livre. Sa dédicace m'a émue et m'accompagne.

« L’espace de notre vie n’est ni construit, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et il se rassemble ? On sent confusément des fissures, des hiatus, des points de friction, on a parfois la vague impression que ça se coince quelque part, ou que ça éclate, ou que ça se cogne. » (Extrait du feuillet mobile intitulé « Prière d’insérer »)

Georges Perec se lance dans une réflexion sur l’espace, sur sa nature et sur son sens. Qu’est-ce que l’espace par rapport à soi, par rapport aux autres et par rapport au monde ? « L’objet de ce livre n’est pas exactement le vide, ce serait plutôt ce qu’il y a autour, ou dedans. Mais enfin, au départ, il n’y a pas grand-chose : du rien, de l’impalpable, du pratiquement immatériel : de l’étendue, de l’extérieur, ce qui est à l’extérieur de nous, ce au milieu de quoi nous nous déplaçons, le milieu ambiant, l’espace alentour. » (p. 13)

Partant des principes qu’« il y a plein de petits bouts d’espace » (p. 14) et que « vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner. » (p. 16), l’auteur passe en revue tous les lieux qu’il connaît, du plus intime au plus impersonnel. Son inventaire topologique commence par le lit et se finit par l’espace, tout en parcourant la chambre, en traversant l’appartement, en célébrant la ville et arpentant le pays.

Il fait de l’écriture un jalon dans l’espace de la page : « J’écris : j’habite ma feuille de papier, je l’investis, je la parcours. Je suscite des blancs, des espaces (sauts dans le sens : discontinuités, passages, transitions). » (p. 23) L’écriture est action et actrice : elle prend la forme de sauts de ligne, de marges griffonnées, de notes de bas de page désopilantes, d’alinéas étudiés, etc. George Perec applique à l’extrême son étude de l’espace. Il aurait été vain de prétendre parler d’espace sans aborder celui qu’il connaît le mieux.

George Perec s’impose des travaux pratiques et se livre à des exercices d’écriture que le lecteur peut reprendre. Écrire l’espace sur l’espace de la page, c’est une mise en abime sublime et infinie. Les descriptions auxquelles Perec se livre sont systématiques et peuvent sembler artificielles, mais elles découlent du besoin de fixer l’espace, de le délimiter. L’auteur est obsédé par la surface et la frontière. Où commence tel espace ? Pourquoi telle mesure plutôt que telle autre ?

Suivre Perec dans sa quête d’espace m’a tout d’abord semblé facile et très plaisant, comme une promenade en compagnie d’un doux dingue qui connaît une ville ou un quartier comme sa poche. Mais à mesure que les pages se tournaient, le malaise empirait : l’inventaire de Perec n’est pas anodin, ce n’est pas un guide de voyage. J’y vois une carte affolée, un besoin de poser des repères pour repousser l’indéfini. Si l’auteur utilise un langage factuel et un peu mécanique, la poésie et la peur sourdent des pages et se mêlent en fin de ligne.

Les Espèces d’espaces de George Perec sont un peu les nôtres, mais les avait-on déjà regardés comme l’auteur les a vus ? Ouvrez le texte de Perec et redécouvrez le monde quotidien, c’est à prendre le vertige !

Posté par Lili Galipette à 10:00 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [4] - Permalien [#]

Commentaires sur Espèces d'espaces

  • J'ai le vertige !

    Rien qu'à lire ton billet, ça tournait déjà !!! Sujet intéressant s'il en est et qui peut nous emmener...très loin (ou pas). Je le note ! Si en plus, il t'a été dédicacé par une personne "sûre", je le renote !! Bises

    Posté par Asphodèle, 20 juillet 2011 à 15:11 | | Répondre
  • @ Asphodèle

    Une personne très sûre !
    Un billet programmé, ça fait du bien non ? Parce que ce n'est pas ici que j'aurais eu le temps d'écrire ça !

    Posté par Lili Galipette, 20 juillet 2011 à 15:35 | | Répondre
  • Je suis heureux que ce livre te plaise. Il m'acompagne dans mes pensées, dans ma découverte du monde, je suis heureux s'il peut faire de même pour toi.

    Posté par fabrice, 07 août 2011 à 09:44 | | Répondre
  • @ fabrice

    Il fait de même...
    Bises

    Posté par Lili Galipette, 07 août 2011 à 09:50 | | Répondre
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