Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

26 juillet 2011

Le barbaresque

BarbaresqueRoman d'Olivier Weber.

Miguel de Cervantès, héros de la bataille de Lépante, combat au service de « la sainte Ligue, la chrétienté unie contre les infidèles » (p. 9). « Nous voguions sur une Méditerranée de pirates, de bandits à sabres et grappins, des gens de rien, des renégats convertis, une mer en proie à tous les pillages, à la rapine du ponant à l’orient, du septentrion aux mers méridionales. » (p. 9) Le navire sur lequel Cervantès est embarqué est attaqué par des pirates barbaresques qui font prisonniers l’équipage et les emmènent en Barbarie. « Prisonniers sur le pont, nous vîmes se dessiner devant nous la route de l’exil, le chemin qui menait vers la Barbarie. » (p. 23) C’est à Alger que les prisonniers chrétiens sont débarqués. Si certains, en reniant la religion du Christ, s’assurent un avenir confortable, les captifs fidèles à la chrétienté entrent dans un commerce particulier, celui des rançons. « Les captifs sont la richesse de la Barbarie. […] Achetez-les, vendez-les, mais prenez-en soin. Certains valent plus cher que de l’or. »(p. 28) Miguel et son frère Rodrigo deviennent ainsi la propriété d’El Cojo, un bandit d’Alger, qui attend que des religieux chrétiens viennent payer la rançon des deux frères.

Alors que les premiers temps sont nourris de l’insoutenable douleur de l’exil et de la captivité, tout bascule quand Miguel rencontre Zorha, fille d’Hadji Mourad, représentant de la Porte en Barbarie. Leur amour est interdit, mais il offre à l’Espagnol et à la belle Mauresque une liberté insoupçonnée. « Ma captivité était devenue un délice, une promesse de beaux lendemains, un horizon dont je voyais les contours et que je n’avais jamais connu, les frontières d’un nouveau pays qui s’appellerait l’amour. » (p. 126) Alger devient la ville du plaisir et du bonheur et le retour au pays s’incarne en une sourde angoisse : « L’Espagne n’avait plus grande importance à mes yeux, car j’avais compris qu’il n’est pire exil que celui du cœur. » (p. 157)

Mais la Méditerranée est sillonnée et entourée d’êtres aux désirs contraires. Certains, comme Hadji Mourad, veulent établir la paix sur ses rives et dans ses eaux. Le père de Zohra charge Miguel d’une mission secrète : l’Espagnol doit tout tenter pour établir la paix entre les Chrétiens et les Mahométans. Entre son honneur et son amour, Cervantès est partagé. « Un secret est d’autant plus lourd à porter qu’il engage votre amour. Les secrets rendent le désir encore plus fou. » (p. 151) Alors qu’Alger s’ébranle au lendemain de la prise de pouvoir d’Hassan le Vénitien, Cervantès doit défendre sa vie et mener à bien sa mission en se protégeant des attaques perfides d’un vieil ennemi, l’Espagnol Sigura, à la solde de l’Inquisition. Et quand le retour en Espagne se profile, la perte de la bien-aimée est plus cruelle que n’est grande la joie de retrouver les siens. La bataille contre les moulins à vent ne fait que commencer.

Comment ne pas penser aux toiles de Delacroix en lisant le récit fictif que Cervantès fait de sa captivité en Barbarie ? Olivier Weber évoque les mêmes beautés que celles qui se dégagent des peintures de l’orientaliste. Le personnage de Zohra est une toile de maître au sein du roman. La jeune femme est une odalisque parfaite, « une bien-aimée sortie du Cantique des Cantiques, les seins offerts, les reins cambrés, la peau ambrée, les yeux ourlés de noir, comme une invitation au désir. » (p. 174) De même, la description d’Alger s’offre comme une peinture : « Alger la rebelle, l’insoumise, l’infidèle aux belles femmes, aussi traîtresses que les pirates. » (p. 24). La cité se dessine sous les traits d’une ville merveilleuse, aux frontières de l’imagination. Tout y semble possible, mais également dangereux. Cette ville a choisit ses maîtres : « Alger appartient tout d’abord aux pirates, aux renégats, aux chrétiens convertis à la religion du prophète Mahomet. » (p. 207) Cependant la ville se présente également comme un creuset culturel et religieux. Les captifs chrétiens ont leur propre cité au sein d’Alger et les Juifs sont légions entre ses murs. Certains cherchent à établir la concorde entre les trois religions du Livre, mais les intérêts politiques et stratégiques s’imposent et mettent en péril l’harmonie.

Cette autobiographie fictive est servie par une plume habile et intelligente. Les évocations amoureuses sont fines et poétiques et emplissent le texte de parfums suaves. Les intrigues politiques sont décrites avec clarté et le roman tout entier offre un éclairage simple sur une période de l’histoire de la Méditerranée et des relations entre Chrétiens et Mahométans. Olivier Weber offre ici un très beau roman d’aventure et une romance digne des histoires d’amour les plus légendaires.

Posté par Lili Galipette à 11:11 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [6] - Permalien [#]

Commentaires sur Le barbaresque

  • Très beau roman

    le Barbaresque est un très beau roman d'aventures et d'amour. Merci de nous le recommander. L'intrigue est rondement menée, les personnages sont attachant et forts, et on plonge dans l'histoire à la vitesse des galères pirates. Se découvre ainsi au fil des pages un Cervantès étonnant, audacieux, habile, et qui tente de mener sa mission entre les deux rives de la Méditerranée: rapprocher les mondes chrétien et musulman. Bravo! Avez-vous d'autres livres d'Olivier Weber à recommander? Et merci pour votre excellent site.
    Jean-Pierre Noël

    Posté par Jean-Pierre Noël, 28 juillet 2011 à 06:18 | | Répondre
  • @ Jean-Pierre Noël

    Merci pour votre commentaire.
    Je n'ai hélas pas d'autres romans d'Olivier Weber à vous recommander, "Le Barbaresque" est le premier de cet auteur que je lis.

    Posté par Lili Galipette, 28 juillet 2011 à 08:11 | | Répondre
  • En fait j'avais déjà lu un de ses livres. Le Faucon afghan d'Olivier Weber est un grand reportage sur l'Afghanistan du temps de Massoud. L'écrivain-voyageur a pu se rendre du côté des talibans et a écrit un superbe récit de voyage, entre Bruce Chatwin et Joseph Kessel. Le travel writing à la française a trouvé en Weber son Conrad, un peintre de la déconfiture des âmes et de la barbarie. Avec l'humour et l'espoir en plus.
    Jean-Pierre Noël

    Posté par Jean-Pierre Noël, 01 août 2011 à 14:32 | | Répondre
  • @ Jean-Pierre Noël

    Vous me donnez envie d'en lire davantage et de découvrir cet auteur. Merci !

    Posté par Lili Galipette, 02 août 2011 à 20:28 | | Répondre
  • Magnifique roman d'aventure

    Le Barbaresque est un magnifique roman d'aventures. Olivier Weber, écrivain et voyageur au long cours, a réussi une prouesse: décrire la captivité du jeune Cervantès dans l'Alger des pirates. Une Méditerranée de feu, de sang, d'amour et de passion s'ouvre devant nos yeux, à la proue des galères barbaresques et sur la hune des mâts ottomans. Olivier Weber, c'est du Conrad, du Kessel et du Albert Londres réunis.
    Un régal!
    Maude Picard

    Posté par Croustille, 10 août 2011 à 08:45 | | Répondre
  • @ Croustille

    Merci pour votre commentaire, très juste et bien formulé !
    A bientôt.

    Posté par Lili Galipette, 10 août 2011 à 09:33 | | Répondre
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