Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

02 janvier 2012

L'ingénue libertine

Ingenue_libertineRoman de Colette.

Minne est l’enfant chérie d’une veuve inquiète et très protectrice. Blonde enfant aux cheveux d’argent, Minne s’étourdit en lisant les aventures et les hauts-faits des canailles qui sévissent la nuit dans les faubourgs. « Pour Minne, tout cela est monstrueux et simple à la manière d’un roman d’autrefois. Elle sait, à n’en pas douter, que la bordure pelée des fortifications est une terre étrange, où grouille un peuple dangereux et attrayant de sauvages, une race très différente de la nôtre. » (p. 18) Dans ses rêves échevelés de petite fille, elle se voit au bras du Frisé, le célèbre coquin que les forces de l’ordre échouent à attraper, et régnant sur le monde des malfrats et des assassins parisiens. Que lui importe alors la fébrile admiration de son cousin Antoine, adolescent hésitant et maladroit ! Chipie aux idées terribles, Minne joue à la femme et essaie son pouvoir naissant sur ce pauvre cousin balbutiant et timide. « Antoine éprouve l’indigence des moyens de plaire, et qu’un amoureux ne saurait être beau, s’il n’est aimé… » (p. 51)

Mais les rêves de Minne la conduisent une nuit hors du nid maternel. Au terme de cette équipée tiède, il ne lui reste qu’à épouser Antoine. Si le garçon est follement reconnaissant d’avoir reçu Minne pour épouse, la jeune mariée cherche dans d’autres bras la passion qui manque à son couple. Mais d’amant en amant, se donnant sans chaleur, Minne ne trouve pas le plaisir que tous les romans chantent avec ardeur.  Où la trouver cette fameuse extase ? « J’ai couché avec lui et trois autres, en comptant Antoine. Et pas un, pas un, vous entendez bien, ne m’a donné de ce plaisir qui les jetait à moitié mort à côté de moi ; pas un ne m’a assez aimée pour lire dans mes yeux ma déception, la faim et la soif de ce dont, moi, je les rassasiais. » (p. 158) Peut-être lui faut-il d’abord trouver l’amour mais, là encore, où se trouve-t-il ?

C’est avec plaisir que j’ai suivi les folles errances de Minne, enfant gâtée à l’imagination viciée. Mais bien davantage, j’ai éprouvé une tendresse agacée pour Antoine, mari amoureux disposé à tous les sacrifices tant qu’il garde auprès de lui une épouse indifférente. Colette parle avec humour de l’adultère : « Pourvu qu’une femme ait des faiblesses, la force du mari, moi, je m’en fiche ! » (p. 103) Voilà qui est dit et on se demande qui est la moins farouche, l’héroïne ou l’auteure…

C’est avec audace que Colette aborde la question de la quête du plaisir féminin. Au lieu de le considérer comme une fin en soi, elle en fait la preuve de l’existence de l’amour selon une conception très romantique et romancée de la relation physique. L’écriture est enlevée et un brin insolente : Colette se doutait qu’un tel sujet ne laisserait personne indifférent. Aujourd’hui, un siècle plus tard, la formule fonctionne toujours !

Posté par Lili Galipette à 10:15 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [7] - Permalien [#]

Commentaires sur L'ingénue libertine

  • J'aime beaucoup Colette. Je n'ai pas lu celui-ci mais cela ne saurait tarder...

    Posté par Lydia, 03 janvier 2012 à 20:33 | | Répondre
  • @ Lydia

    Mon préféré reste "La chatte".

    Posté par Lili Galipette, 03 janvier 2012 à 20:49 | | Répondre
  • Ton beau billet me donne envie de me remettre à Colette (j'ai un challenge en cours qui plus est) ! "La retraite sentimentale" m'attend sagement en haut d'une pile, mais je n'ai pas le temps, je n'ai jamais le temps, mais je me régale quand même avec mes lectures actuelles, donc je me dis que ce manque de temps chronique, il va falloir m'y habituer !

    Posté par Asphodèle, 05 janvier 2012 à 11:05 | | Répondre
  • @ Asphodèle

    "Manque de temps" : ce dont dispose en abondance tous les meilleurs blogueurs-lecteurs !

    Attention, y'a un copyright sur ma définition !

    Posté par Lili Galipette, 05 janvier 2012 à 11:07 | | Répondre
  • Quel beau billet, j'aime beaucoup comme tu relates tout cela.

    Posté par Sabbio, 11 janvier 2012 à 19:55 | | Répondre
  • @ Sabbio

    Merci beaucoup !

    Posté par Lili Galipette, 11 janvier 2012 à 21:04 | | Répondre
  • J'avais lu ce livre quand j'étais adolescente. Je l'aimais beaucoup et je l'ai gardé à mon chevet le relisant souvent dans les années qui ont suivi. J'ai appris bien plus tard que Colette elle-même ne l'aimait pas et que pour ses spécialistes aussi, selon la formule consacrée, "il n'ajoutait rien à sa gloire". Je n'ai cependant pas changé d'avis. Je trouve que c'est superbement écrit (de cette auteure, pouvait-il en être autrement ?!), que c'est une peinture fort intéressante à la fois du Paris mi-bourgeois mi-artiste et de la condition de la femme des années 1900. Je trouve extraordinairement touchant le passage qui raconte la visite de Minne à Henri Maugis, chez lui… La fin de l'histoire est ravissante aussi et montre… qu'il ne faut jamais désespérer.

    Posté par Annick M., 07 juillet 2018 à 17:26 | | Répondre
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