Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

09 janvier 2012

La folie du roi Marc

Folie_du_roi_MarcRoman de Clara Dupont-Monod.

« Je m’appelle Marc, je suis roi de Cornouailles et ma femme me trompe. Elle s’appelle Yseut. » (p. 11) La suite, tout le monde la connaît, c’est la passion adultère entre la blonde Yseut et Tristan, le neveu de Marc, son presque-fils. Tintagel bruisse des rumeurs de l’infidélité de la reine, mais le roi reste longtemps aveugle et sourd : aveugle parce que les yeux pleins de la beauté de sa femme, sourd parce que les oreilles pleines de ses silences. « Elle se tait et mes mains fourmillent, je ne supporte pas son mutisme. Derrière son silence, je l’entends ordonner le saccage de ma vie. » (p. 11) Fou amoureux d’une femme qui ne pose sur lui qu’un regard vide et un sourire froid, Marc s’épuise à vouloir lui plaire. « C’est toi que je veux posséder, ton cœur, le sens caché de tes phrases, le rêve de tes nuits. Je n’aspire qu’à te comprendre. Je t’aime trop pour prêter attention à mon cœur qui doute. » (p. 56) Mais vient le jour où le doute n’est plus permis. « À défaut de sentir que tu en aimais déjà un autre, j’ai très vite compris que tu ne m’aimais pas. » (p. 219) Si Yseut partage la couche du roi, c’est dans les bras de Tristan qu’elle exulte. Et voilà que la passion de Marc le cocu prend un autre visage. « J’aime une femme que je déteste. » (p. 14)

Dès lors, le roi Marc veut punir et faire souffrir. Il met Yseut sur un bûcher, la livre aux lépreux et la soumet au jugement divin. Il bannit et renie Tristan. Errant dans Tintagel, il jouit de la souffrance des amants séparés et se repaît des larmes de son épouse. Entre imprécations et suppliques, Marc fulmine et s’humilie pour regagner Yseut. « Rends-moi Yseut, Tristan de malheur, voleur d’amour, voleur de vie, rends-moi ma femme ! » (p. 139) Mais être roi ne suffit pas pour avoir du pouvoir sur le cœur d’une femme. Marc est possessif et il clame à cor et à cris sa propriété pour mieux souligner qu’il l’a perdue. « J’ai épousé une absence – un fantôme qui me rend fou, une pièce vide. » (p. 142) Maladivement jaloux et volontiers narquois, Marc tente de rabaisser la superbe Yseut et de ternir les merveilleuses amours des amants. « Elle est toute entière habitée par un autre. À la soie, Madame préfère la terre. Aux honneurs d’un roi, la misère d’un banni. Si je suis roi d’un domaine, un vassal règne en maître sur ma femme. » (p. 21) Sa douleur et sa colère sont légitimes, mais Marc fait figure de bien triste sire.

Clara Dupont-Monod réécrit un des mythes fondateurs de la littérature amoureuse, mais pas du point de vue des amants. C’est le mari trompé, c’est le cocu qui prend la parole. Ni humble, ni pudique, Marc répand son amour/haine sur les amants coupables. Le monologue du roi résonne comme une longue élégie démente. Marc aurait pu être un cocu célèbre, mais la légende n’a retenu que les merveilleux amants, les exonérant presque de toute culpabilité. « Je suis rayé, banni de ma propre histoire – et c’est moi qui rends la leur vivante. » (p. 27) Mais ancré dans son époque et sa douleur, Marc ne veut pas être oublié. Son chant de haine tend à ébranler les livres. « L’amour conjugal doit ennuyer les dieux et les artistes. Le jour où ceux-là se pencheront sur les gens sans histoire, je ferai sonner toutes les cloches de Cornouailles. » (p. 183) Les glorieux héros sont toujours Tristan et Yseut. « Dieu s’intéresse aux élus, aux Tristan et aux Yseut. Dieu n’a que faire des dupes, des misérables et des naïfs. Il n’accorde sa clémence qu’aux amoureux emportés par une passion partagée. Il raffole des hors-la-loi et des bannis. Moi, je n’ai trompé personne. » (p. 182) Mais le roi Marc de Tintagel, sous la plume de Clara Dupont-Monod, prend enfin place dans l’histoire. Il n’a pas la superbe du neveu traître, ni l’éclat de l’épouse adultère, mais sa voix a résonné et porte une douleur qu’il fallait bien reconnaître.

Ce roman est servi par une plume sublime. Quel souffle et quelle puissance dans ces lignes ! J’ai retrouvé dans ce texte la même beauté douloureuse que dans La passion selon Juette, de la même auteure. Une nouvelle fois, Clara Dupont-Monod tire du Moyen-âge un héros oublié et en écrit l’histoire avec des accents de légende. Je vous recommande le roman, mais surtout l’auteure !

Posté par Lili Galipette à 16:05 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [16] - Permalien [#]
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Commentaires sur La folie du roi Marc

  • Il va vraiment falloir que je lise cette auteure qui semble beaucoup te plaire !

    Posté par George, 10 janvier 2012 à 16:49 | | Répondre
  • @ George

    J'apprécie en effet beaucoup sa plume !

    Posté par Lili Galipette, 10 janvier 2012 à 16:53 | | Répondre
  • Ca me tente! Les réécritures de mythes comme celui-ci m'intéresse beaucoup, je note!

    Posté par Mélusine, 10 janvier 2012 à 17:42 | | Répondre
  • C'est noté !

    Posté par Lydia, 10 janvier 2012 à 20:51 | | Répondre
  • @ Mélusine

    Bonne lecture alors !

    Posté par Lili Galipette, 11 janvier 2012 à 06:59 | | Répondre
  • @ Lydia

    Je vois que j'en ai tenté une autre !

    Posté par Lili Galipette, 11 janvier 2012 à 06:59 | | Répondre
  • Ben évidemment, me mettre des bouquins dont le thème est le moyen âge sous le nez... tu sais que je n'y résiste pas !

    Posté par Lydia, 11 janvier 2012 à 07:47 | | Répondre
  • Ce que j'ai aimé, c'est que là, Marc n'est pas dupe de la supercherie orchestrée par les amants pour disculper Iseult aux yeux du monde, contrairement au récit original. Et je préfère ce passage, indubitablement ! ^^

    Posté par nath, 16 janvier 2012 à 16:00 | | Répondre
  • @ nath

    Dans la version originale, je me demande s'il ne faut pas comparer la bienveillance aveugle de Marc à une miséricorde divine. Marc a tout pouvoir sur les amants adultères, mais il ne les châtie pas et leur accorde sa bénédiction. C'est aussi très puissant. Non ?

    Posté par Lili Galipette, 17 janvier 2012 à 07:09 | | Répondre
  • Il est sur ma LAL depuis des lustres ! J'avais adoré La passion selon Juette... Pourrais-tu me le prêter ???

    Posté par Liliba, 01 février 2012 à 08:41 | | Répondre
  • @ Liliba

    Et beh, quand tu commences à commenter, tu ne t'arrêtes plus !!!!
    Je te mets de côté le livre !

    Posté par Lili Galipette, 01 février 2012 à 08:57 | | Répondre
  • oui, shame on me, ça faisait un bail que je n'étais pas venue te lire... J'ai un retard de dingue sur les lectures des blogamis !

    Posté par Liliba, 01 février 2012 à 09:26 | | Répondre
  • @ Liliba

    Pareil pour moi. Je lis sur le Google Reader, mais je ne viens pas toujours commenter...

    Posté par Lili Galipette, 01 février 2012 à 10:10 | | Répondre
  • Mais je pense toujours à toi, c'est le principal ! Et puis je suis tes tribulations sur FB, et là ça me fait bien marrer !

    Posté par Liliba, 01 février 2012 à 11:41 | | Répondre
  • @ Liliba

    Ma vie est tout à fait passionnante, n'est-ce pas ?

    Posté par Lili Galipette, 01 février 2012 à 11:46 | | Répondre
  • tout à fait !!! tu devrais l'écrire

    Posté par Liliba, 01 février 2012 à 13:33 | | Répondre
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