Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

07 mars 2012

Obscura

ObscuraRoman de Régis Descott.

Lecture de mars chez Babelio. Venez en discutez sur le forum !

Jeune médecin parisien, Jean Corbel lutte contre les maladies de poitrine et la syphilis. Le souvenir de sa mère morte le pousse à soigner tous les pauvres qui croisent sa route. Sa compagne Sibylle, jeune actrice qui tente de percer, égaie son existence. Mais voilà que des meurtres étranges secouent Paris : un tueur met en scène des cadavres de femmes pour reproduire une toile d’Édouard Manet, peintre décédé quelques années plus tôt. Le plus étrange est que les victimes ressemblent toutes à Victorine Meurent, célèbre modèle de l’artiste. Et l’œuvre est toujours la même, le fameux Déjeuner sur l’herbe qui scandalisa tant les Parisiens lors de sa présentation. « Comment une œuvre d’art pouvait-elle provoquer une telle passion et inspirer un tel crime ? Être à l’origine d’un homicide ? » (p. 165)

Jean Corbel est d’autant plus inquiet que Sibylle ressemble à cette femme. Fait troublant, une femme s’est présentée à son cabinet : cette prostituée est le portrait presque exact du fameux modèle et ressemble à s’y méprendre à l’épouse du docteur. Jean Corbel pressent rapidement qu’un danger pèse sur l’existence de Sibylle, d’autant plus que le meurtrier fait montre d’une grande précision et d’une terrible intelligence dans son crime. « Une telle minutie fait froid dans le dos. Et nous serions donc face à une monomanie particulièrement sophistiquée, au sein de laquelle l’homicide ne serait qu’un moyen de parvenir à certaines fins. » (p. 208) Le but macabre après lequel court le tueur-artiste dissimule en fait une certaine part de génie, mais même le génie a ses limites.

Que trouve-nous dans ce roman policier ? Des prostituées et des maisons closes, de la peinture et des couleurs, des fous et une médecine qui fait des progrès fabuleux. C’est beaucoup. C’est ambitieux. C’est finalement casse-gueule ! À trop vouloir faire coexister le monde médical, le monde artistique et l’univers des filles de joie, l’intrigue disparaît sous des dizaines de références et de concepts. Zola, Manet, Charcot et autres composent un tableau beaucoup trop chargé.

Autre point négatif : j’ai trouvé le style lourd, empêtré dans des clichés et des portraits caricaturaux. Nous avons donc un jeune médecin idéaliste, une prostituée mystérieuse, une actrice légèrement écervelée, un ami solide et fidèle en dépit des crasses qu’on lui fait, un flic borné, un gamin aux faux airs de Gavroche, etc. L’intrigue policière est honnêtement menée, complexe même si elle est un brin convenue. Le coupable ne se laisse pas longtemps désirer : dès sa première apparition, il a la tête de l’emploi.

Je reprends une phrase d’un personnage : « En mettant en scène un cadavre, c’est l’aspect scandaleux de l’œuvre qu’il vise. Ne pouvant égaler son génie, il recherche à dépasser son scandale. » (p. 210) C’est un peu ce qu’a fait Régis Descott en décrivant à l’envi les différentes phases de la décomposition d’un cadavre ou les lésions causées par la syphilis. Un étudiant en médecine n’y trouvera probablement rien à redire. Pour ma part, si de telles descriptions m’intéressaient en l’état, j’ouvrirais un précis d’anatomie. Avec sa charogne, un certain Baudelaire a fait un travail comparable, mais autrement réussi et intéressant.

Toutefois, je ne peux ne pas reconnaître à l’auteur un talent certain pour la description des couleurs et la précision dans la mention des nuances de la palette. Par ailleurs, il aime la peinture et il connaît son sujet. Quiconque aura vu une fois Olympia et le Déjeuner sur l’herbe reconnaîtra les œuvres au travers des descriptions. Hélas, tout cela ne fait pas un roman.

Posté par Lili Galipette à 18:40 - Ma Réserve - Lignes d'affrontement [11] - Permalien [#]
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Commentaires sur Obscura

  • Dommage le titre était évocateur de belles promesses littéraires mais je ne me laisserai pas aller à le lire.

    Posté par Alyette, 07 mars 2012 à 18:52 | | Répondre
  • c'est un roman qui me tentait bien, mais là,tout à coup ça ne me dit plus rien !!

    Posté par George, 08 mars 2012 à 17:58 | | Répondre
  • @ Alyette

    De belles promesses littéraires, artistiques, photographiques, etc. Mais tenues en partie... J'attendais beaucoup de ce roman et j'ai été assez dépitée.

    Posté par Lili Galipette, 08 mars 2012 à 17:48 | | Répondre
  • @ George

    Non, évite-toi ça !! La comparaison avec Zola et Manet va te hérisser le poil !!!

    Posté par Lili Galipette, 08 mars 2012 à 17:50 | | Répondre
  • Oh, merci Lili ! Sans toi, c'est le genre de pitch qui aurait pu me plaire... Vu ton commentaire sur l'aspect lourdingue de la chose, je laisse de côté !

    Posté par Miss Alfie, 09 mars 2012 à 15:52 | | Répondre
  • @ Miss Alfie

    J'ai été abusée par le pitch. Ravie de t'avoir rendu ce service !

    Posté par Lili Galipette, 09 mars 2012 à 15:54 | | Répondre
  • Moi aussi il me tentait bien ce livre. Décidément, le tableau de Manet fait toujours couler beaucoup d'encre... plus ou moins bien.

    Posté par Lydia, 10 mars 2012 à 12:17 | | Répondre
  • @ Lydia

    J'ai trouvé des avis très positifs sur le net. Je me demande si c'est moi qui suis passée à côté du livre...

    Posté par Lili Galipette, 10 mars 2012 à 12:44 | | Répondre
  • C'est ta sensibilité. Tu n'as pas à te poser de questions. Tu l'as ressenti ainsi et tu nous en fais part, voilà tout.

    Posté par Lydia, 10 mars 2012 à 14:41 | | Répondre
  • Je l'avais lu l'année dernière, et j'avais été très déçue aussi ! J'ai aimé l'univers du roman, mais la montagne de clichés qui grossit au fil des pages m'a complètement laissée au bord de la route !

    Posté par Caroline, 15 mars 2012 à 13:40 | | Répondre
  • @ Caroline

    Je constate que les clichés n'ont pas gêné que moi ! Dommage, car l'idée est vraiment intéressante.

    Posté par Lili Galipette, 15 mars 2012 à 22:09 | | Répondre
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