11 avril 2012
Quelques réflexions sur la lecture numérique
Je ne suis pas contre, j’attends juste le déclic. Et il est tout à fait inutile de me forcer : comme pour d’autres choses, si on me l’impose, je vais rechigner et peut-être devenir de très mauvaise foi. Donc, ça viendra quand ça viendra, ou pas. Je n’ai pas peur que le livre numérique remplace le livre papier. Certes, le livre a supplanté le rouleau et la plaque de marbre, mais assister à l’éradication du livre papier, je n’y crois pas, même en me forçant. Parce que parfois, je me force.
Sans partir dans les innombrables clichés sur l’odeur du papier et autres, je me demande ce que vont devenir des expressions comme « tourner la page » ou « écrire une nouvelle page de son existence ». Dira-t-on « Tu as assez souffert, tu dois glisser/déposer une nouvelle page » ? Exit « le grand livre de la vie » et bonjour « le grand ebook de la vie » ? Mouais, pas convaincue. Réflexion annexe : pourquoi faudrait-il tourner la page ? Je préfère me dire que je change de stylo : ne pas oublier, jamais !
Maintenant que j’ai bien bougonné, je modère. Quand je suis dans le métro, avec mon sage livre de poche entre les mains, je suis heureuse de voir des gens qui lisent en tactile. Oui, lisez, lisez encore ! Papier ou pixel, qu’importe le flacon pourvu qu’on ait la lettre !
Ce qui m’étonne, encore que je n’aie pas de chiffres exacts, c’est de constater que ces messieurs sont plus tactiles (évidemment !) que ces dames. Avec quelle grâce les femmes sortent de leur sac un livre papier ! Avec quelle sensualité elles tournent les pages et tiennent à pleines mains ces volumes reproduits par milliers et pourtant tous uniques ! Messieurs, je ne vous oublie pas et je vous aime quand je vois vos yeux mâles plonger dans les profondeurs d’un texte inscrit sur carte SD. Serait-ce parce que vous n’avez pas, comme mes consœurs et moi, un précieux fourre-tout qui contient votre existence en miniature ? Est-il plus facile pour vous de transporter une tablette, toujours au même format, qu’un livre qui a l’idée saugrenue de ne pas jamais faire exactement le même poids que son voisin ?
Tristesse, enfin. J’ai souvent plaisir à déposer sur le siège que je quitte l’exemplaire que je viens de fermer. Ce n’est pas un abandon, mais une loterie merveilleuse. Qui ramassera mon éphémère ami de papier ? Qui le fera sien entre deux stations ou peut-être plus loin ? Combien de voyageurs entreprendront un périple de papier grâce à ce petit livre de poche laissé sur un strapontin ? Ces questions que je dépose entre les pages du livre que je laisse derrière moi sont autant d’histoires qui s’écrivent sans moi et qui nourrissent l’imaginaire de la lecture.
Si, demain, je cède aux sirènes du ebook, que ferais-je du titre dont j’aurais épuisé les octets ? Je doute que mon envie de partager les livres faiblisse jamais ! Ils sont rares les livres qui restent longtemps sur mes étagères. Si la lecture est une armée et les livres sont ses bataillons, je n’aime pas voir ces derniers en rangs sages et serrés chez moi : qu’ils partent à la conquête des lecteurs qui s’assument et de ceux qui s’ignorent, voilà mon rêve. Que faire alors de mon exemplaire numérique si l’envie me prend de l’envoyer rejoindre les bataillons voyageurs des livres vagabonds ? Comment partager physiquement cette expérience ? Hélas, ici j’achoppe et je recule.
Avec toi, livre numérique, il y a un hic : tu me prives de trop de sensualité. Il est peut-être in et chic de lire en électronique, mais je préfère rester encore trimballer mes caisses de bouquins et tant pis pour ma sciatique !
Commentaires sur Quelques réflexions sur la lecture numérique
- J'adore ton article. Tout comme toi j'aime la dimension charnelle du livre mais aussi celle des personnages de papier ; j'aime aussi toutes les expressions poétiques relatives aux livres dont l'une de Lamartine me tient particulièrement à coeur :
Le livre de la vie est le livre suprême
Qu'on ne peut ni fermer, ni rouvrir à son choix;
Le passage attachant ne s'y lit pas deux fois,
Mais le feuillet fatal se tourne de lui-même;
On voudrait revenir à la page où l'on aime
Et la page où l'on meurt est déjà sous vos doigts. - Justement avec le numérique, tu prêtes encore plus facilement (à mon avis), les livres circulent très facilement (ils ne pèsent rien dans la liseuse et rien en format...
C'est un fait avéré lors de la dernière enquête, plus d'hommes (genre 10%) que de femmes lisent en numérique, c'est fou n'est-ce pas...
Encore heureux qu'on ne force personne à lire en numérique, la seule chose qui compte à mon sens c'est l'envie de lire, peu importe le support... - @ delphineMais comment prêter si on n'a pas, au moment précis, le support pour recevoir le texte ? Le livre papier passe de la main à la main. Si on n'a pas de clé USB ou autre carte mémoire, comment fait-on ?
Mais tu le dis très bien : l'envie de lire supplante toutes les considérations de format. Et ce billet ne vaut que pour moi ! - Comme toi je n'ai pas encore eu le déclic! J'aime avoir un livre dans mon sac, avec mon agenda papier et mon cahier de note papier. C'est vrai qu'un liseuse ou un ipad réduirait le poids de mon sac puisque je devrais aussi enlever les stylos, etc. Nana, ce n'est pas pour moi, je susi trop attachée à tout cela!
- Que je suis d'accord
!
L'essentiel est de lire, de lire et de lire, le reste c'est du blablatage ! Que chacun trouve le format qui lui convient. Il faut changer, essayer, varier les formats selon nos envies.
Et j'aime beaucoup l'idée de laisser son livre dans le métro même si je serais incapable d'en faire autant!
- Chouette réflexion !!!
J'adore le "Dira-t-on « Tu as assez souffert, tu dois glisser/déposer une nouvelle page » ?"
Comme toi, plus on me le conseille, moins j'ai envie de sauter le pas. Un jour peut-être, parce que j'ai un vague côté geek au fond de moi.
Mais à quoi servira la future bibliothèque qui nous coûte un bras si toutes mes lectures tiennent dans quelques cartes SD ?!!! - Je doute fort, par exemple, que ces petites machines résistent longtemps au sable de la plage !
Et puis, un livre papier, ça n'a besoin d'aucune autre énergie que celle du doigt qui tourne la page : inépuisable, jamais à recharger ou à remplacer ! L'électronique ne donne bien souvent que l'apparence de la liberté. En réalité, elle est toujours sujette à tout un tas d'autres contingences... - c'est ça d'avoir du retard dans son Google Reader, je n'avais pas encore lu ce beau billet, hymne à la sensualité du livre. J'aime tes arguments, et les fais miens, peut-être un jour aurons-nous le déclic, mais pour l'instant je préfère continuer à gribouiller mes livres, à les prêter à ma mère et j'adore me laisser envahir par leur présence !
J'aime partager mes livres, les prêter et là, ça n'ira jamais !
D'ailleurs, il reste de la place à la maison, si tu veux en oublier quelques uns