Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

06 juin 2012

Enola game

Enola_gameRoman de Christel Diehl.

Avant, il y avait le printemps, le soleil, l’insouciance et le superflu. Puis, il y eut Enola Game, cette grande lumière et ses nombreuses détonations. Depuis, la mère et la petite vivent recluses dans leur maison, sans savoir ce qui se passe à l’extérieur. Chaque jour, elles écoutent un morceau de musique et font une photo pour le père qui n’est pas là. Dehors, l’armée distribue des rations d’eau et de nourriture que la mère stocke avec appréhension. Elle sent que la pénurie finira par les condamner à la fuite, qu’il faudra quitter la maison, quitter cet univers.

« La mère s’aperçoit qu’elle a toujours considéré l’hygiène et le confort comme définitivement acquis. » (p. 33) Le quotidien sans eau, ni électricité est devenu une succession d’économies et de rationalisation. Il ne faut plus rien gâcher, le temps n’est plus au superflu et chaque chose compte puisqu’elle pourrait être la dernière. La mère voudrait tout donner à son enfant, mais c’est par amour qu’elle apprend à compter. « Elle voudrait que sa fille n’ait pas besoin de subir l’épreuve de la prodigalité pour apprendre à suspendre mille fois le temps et choisir de révérer mille choses, que sa fille, d’instinct, ne claque jamais les volets au nez du printemps. » (p. 41) Quand une crêpe cuite au-dessus d’un feu de fortune devient une fête et un cadeau, quand la petite se met à raisonner comme un adulte, la mère sait qu’elle perd le combat contre l’inconnu.

Alors que l’anarchie envahit les rues, la mère veut maintenir une apparence de normalité dans la maison. Pour combattre le froid, la solitude et la peur, elle met en place une organisation salvatrice. « Elle respecte le rituel matinal du maquillage comme les quelques autres habitudes qu’elle a pu conserver. Il s’agit de baliser les journées pour ne pas se perdre dans le néant. Elle refuse de donner à son enfant l’image d’une femme qui se laisse aller. » (p. 50) La survie est aussi un état d’esprit et la mère veut donner à la petite l’illusion d’une réalité normale. Et pour se sauver elle-même, elle s’impose d’écrire un journal, de tenir l’espoir au bout de la plume. Elle raconte le passé et évoque les proches dont elle ne sait plus rien. « Elle se demande comment on en vient à se laisser aller. Au bout de combien de temps. Elle se demande ce qu’il faut de lassitude pour faire pencher la balance du côté du renoncement. » (p. 97)

Petit à petit, les mots deviennent des souvenirs puisqu’ils désignent des réalités disparues. Quand le langage devient relique, la pensée est plus solennelle, mais elle est également plus pratique : il faut dire l’utile, le concret et l’immédiat et ne pas se perdre, ni perdre la raison, à évoquer ce qui n’est plus. « Enola Game l’a débarrassée de sa vanité en lui volant son insouciance. » (p. 51) Enola Game est à la fois l’évènement fondateur et le nom d’une nouvelle époque. Enola Game a créé une nouvelle réalité qui demande de nouveaux mots et une nouvelle façon d’être au monde.

Enola Game a un air de déjà vu et la référence à la première catastrophe nucléaire est explicite. Au-delà de la survie en autarcie d’un petit groupe de survivants, le roman évoque le comportement de l’humanité devant un évènement traumatisant majeur. Cette réflexion alimente les terreurs de la mère. « Elle ne se fait pas d’illusions. Elle sait que chaque époque est capable de générer sa propre barbarie. Il suffit d’un déclic et les pires instincts se réveillent. Depuis plusieurs jours, des hordes sillonnent les rues. » (p. 71) Comme les deux femmes, le lecteur est enfermé dans cette maison qui ne pourra se suffire à elle-même. Dans ce huis clos narratif, le découpage en paragraphes plus ou moins courts évoque des fragments de conscience, des sursauts d’humanité après Armageddon.

Si le sujet n’est pas neuf et si le traitement n’est pas spécialement original, ce roman est toutefois très réussi. Il dégage une atmosphère profondément oppressante et une angoisse palpable. Les rapports duo/duel entre mère et fille, entre intérieur et extérieur, entre passé et présent alimentent une dialectique qui tend à devenir cyclique et à générer la folie. Un roman que je recommande aux amateurs de dystopies et de science-fiction postapocalyptique.

Posté par Lili Galipette à 09:30 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [24] - Permalien [#]

Commentaires sur Enola game

  • J'en ai déjà lu une critique sur un blog il n'y a pas si longtemps, et elle m'avait donné envie de le lire.
    Du coup, je me suis procurée le livre et il est dans ma pile !

    Posté par Céline, 06 juin 2012 à 09:45 | | Répondre
  • @ Céline

    Bonne lecture !

    Posté par Lili Galipette, 06 juin 2012 à 09:49 | | Répondre
  • Un très beau premier roman!!!!

    Posté par clara, 06 juin 2012 à 10:24 | | Répondre
  • @ clara

    C'est sur ton blog que j'avais repéré le livre.

    Posté par Lili Galipette, 06 juin 2012 à 10:27 | | Répondre
  • ça me tente bien...

    Posté par sandrine, 06 juin 2012 à 14:22 | | Répondre
  • @ sandrine

    Je te le mets de côté ?

    Posté par Lili Galipette, 06 juin 2012 à 15:17 | | Répondre
  • "Un roman que je recommande aux amateurs de dystopies et de science-fiction postapocalyptique."

    Je suis en plein dans le thème en ce moment avec Margaret Atwood ^^
    Mais celui-ci est noté pour plus tard

    Posté par Cynthia, 06 juin 2012 à 15:19 | | Répondre
  • @ Cynthia

    Oui, il devrait te plaire !!

    Posté par Lili Galipette, 06 juin 2012 à 15:28 | | Répondre
  • Gros coup de cœur pour ce premier roman ! J'ai fait voyager ce livre d'ailleurs, il fait de bien jolies escales...!

    Posté par Noukette, 07 juin 2012 à 00:18 | | Répondre
  • @ Noukette

    Les avis semblent unanimes sur ce roman.
    Bonne journée.

    Posté par Lili Galipette, 07 juin 2012 à 06:29 | | Répondre
  • Je note la référence !

    Posté par Lydia, 07 juin 2012 à 10:50 | | Répondre
  • Je ne le lirai pas, j'évite les sujets qui m'angoissent trop, mais il semble bien et j'adore sa couverture!

    Posté par Sabbio, 08 juin 2012 à 12:55 | | Répondre
  • @ Sabbio

    C'est en effet un huis-clos angoissant.
    J'avais craqué sur la couverture.

    Posté par Lili Galipette, 08 juin 2012 à 13:40 | | Répondre
  • J'ai déjà vu quelques avis élogieux, comme beaucoup il est à l'état larvaire de la LAL !!!

    Posté par Asphodèle, 09 juin 2012 à 20:03 | | Répondre
  • @ Asphodèle

    L'état larvaire ?? Une nouvelle forme pour la LAL ?

    Posté par Lili Galipette, 09 juin 2012 à 20:20 | | Répondre
  • Qui sait ? Tant qu'il n'est pas dans la PAL, il est à l'état "larvaire" !!!

    Posté par Asphodèle, 09 juin 2012 à 20:58 | | Répondre
  • Chouette, je viens de recevoir le LV de Manu et je me réjouis de le lire !

    Posté par Liliba, 16 juin 2012 à 17:26 | | Répondre
  • @ Liliba

    Ah, hâte de lire ton avis !

    Posté par Lili Galipette, 16 juin 2012 à 17:35 | | Répondre
  • Et moi hâte de le lire ! Mais ça s'entasse en ce moment, c'est grâve ! J'ai été un peu gourmande sur les LV et les SP... du coup, je dévore comme une dingue !

    Posté par Liliba, 16 juin 2012 à 19:21 | | Répondre
  • @ Liliba

    Du moment que tu te régales et qu'il n'y a pas de gêne !

    Posté par Lili Galipette, 16 juin 2012 à 22:59 | | Répondre
  • Ben non, parce que je sélectionne bien ce que j'ai envie de lire, donc du coup, ce ne sont presque que de bonnes lectures, alors je me fais plaisir... Et puis je ne peux pas m'empêcher d'entasser les livres... c'est un peu compulsif !

    Posté par Liliba, 17 juin 2012 à 10:26 | | Répondre
  • @ Liliba

    Je comprends très bien ce genre de "compulsivité" !

    Posté par Lili Galipette, 17 juin 2012 à 10:27 | | Répondre
  • un beau livre : court et beau !

    Posté par Lystig, 01 juillet 2012 à 00:56 | | Répondre
  • @ Lystig

    Je suis de ton avis.
    Bon dimanche.

    Posté par Lili Galipette, 01 juillet 2012 à 11:08 | | Répondre
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