Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

17 décembre 2012

Au bonheur des dames

Au_bonheur_des_damesRoman d’Émile Zola.

Denise Bandu arrive à Paris après la mort de ses parents. Elle est accompagnée de ses jeunes frères, Jean et Pépé. La jeune fille croit trouver de l’aide auprès d’un vieil oncle, marchant de tissu. Mais la boutique du commerçant fait lentement faillite sous la poussée vorace du Bonheur des Dames, immense magasin de nouveautés qui s’installe peu à peu et étouffe les petits commerces du quartier. Denise trouve une place de vendeuse dans cette immense machine commerciale. Mais sa gaucherie et sa douceur la desservent grandement auprès des vendeuses, archétypes des petites Parisiennes fortes en mots. À force de patience et grâce, la jeune et blonde Denise attire l’attention d’Octave Mouret, le propriétaire du magasin.

Revoilà donc Octave que l’on avait croisé dans La conquête de Plassans et suivi dans Pot-Bouille. À la fin de ce volume, il épousait Caroline Hédouin, propriétaire d’un commerce en plein essor. Rapidement veuf, mais vite consolé par Le Bonheur des Dames qui était apporté dans la corbeille de mariage, Octave se montre un entrepreneur ambitieux et innovant. Il ne croit plus au petit magasin solitaire et spécialisé dans une gamme d’articles. « Le petit commerce y laissera encore une aile. Enterrés, tous ces brocanteurs qui crèvent de rhumatismes, dans leurs caves ! » (p. 52) Dans son énorme temple des emplettes, Octave décide de vendre de tout, du simple lacet aux meubles en passant par les casseroles. Vous voulez une robe ? Montez à l’entresol, au rayon de la confection. Il vous faut des mouchoirs ? C’est au rayon lingerie, mais gare aux querelles entre les vendeuses ! Entre publicité sans cesse étendue et primes aux meilleurs vendeurs, Octave Mouret invente le commerce moderne. Zola avait parfaitement compris les nouveaux rouages de la consommation : flatter les clientes (oui, évidemment, il n’y a que les femmes qui se laissent aller aux achats compulsifs…), promettre moins cher pour vendre plus, jouer sur l’offre et la demande, etc. Et surtout, écraser la concurrence, ne lui laisser aucune chance. « Partout, Le Bonheur des Dames rachetait les baux, les boutiques fermaient, les locataires déménageaient. » (p. 233)

On l’avait vu dans Pot-Bouille, Octave Mouret est un homme à femmes. Dans l’immeuble du précédent volume, il avait une maîtresse à chaque étage. Ici, d’aucuns s’accordent à penser qu’il y a une fille à chaque rayon. Il semble bien impossible d’attacher ce jeune veuf, un rien joyeux. « Après la mort de Mme Hédouin, il avait juré de ne pas se remarier, tenant d’une femme sa première chance, résolu désormais à tirer sa fortune de toutes les femmes. » (p. 438) C’est par sa douceur victorieuse et fière que Denise fait plier ce galant homme. L’auteur offre une vision moderne, et un peu mercantile, du conte de fées : la provinciale sans le sou qui résiste aux expédients faciles et même à l’homme qu’elle aime parce qu’elle se juge indigne de lui, le riche patron dompté par la blonde innocence d’une ingénue, pas de doute, c’est la version 19° siècle de la bergère et du Prince. Toujours dans l’optique de son étude sociale et morale d’une famille sous le Second Empire, Émile Zola fait entrer du sang neuf et pur dans une branche de la lignée des Rougon-Macquart. Visiblement, la famille ne trouvera son salut que par l’extérieur.

L’exposition au Musée d’Orsay sur les impressionnistes et la mode fait la part belle à ce roman de Zola. Pour ma part, il s’agit d’une relecture. Et comme toujours, c’est un grand plaisir de suivre les descriptions de l’auteur. La lutte des petits commerces devant les grands magasins, voilà bien une question d’actualité. Pour ne prendre qu’un seul exemple, voyons le triste sort des petites librairies qui craquent et résistent si mal sous les coups de boutoir des grands distributeurs de culture. Chez Zola, les gourmets vont vers Le ventre de Paris et les coquettes vont Au Bonheur des Dames. C’est le même étalage de marchandises et les secondes ne sont pas moins périssables que les premières. Les débordements d’étoffes rappellent les écroulements de saucisses et de pâtés dans la boucherie de la belle Lisa. Dans le grand magasin de nouveautés, Émile Zola nous chatouille d’un froufrou de mots et nous enveloppe de la soie de son style. Nous voilà habillés par les mots de l’auteur et c’est avec bonheur que je me suis glissée dans le costume sur mesure qu’il tenait à ma disposition du bout de sa plume.

Challenge_Relisons_les_Rougon_Macquart

Posté par Lili Galipette à 06:00 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [19] - Permalien [#]
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Commentaires sur Au bonheur des dames

  • C'est aussi en visitant l'expo du Musée d'Orsay que j'ai eu très envie de relire ce roman, mais j'espère toujours lire la série dans l'ordre (un jour!) donc il devrai attendre son tour.

    Posté par George, 17 décembre 2012 à 08:33 | | Répondre
  • On ne s'en lasse pas !

    Posté par Lydia, 17 décembre 2012 à 08:48 | | Répondre
  • Clap clap clap! Bravo; le dernier paragraphe est exquis!

    Posté par Violette, 17 décembre 2012 à 14:02 | | Répondre
  • La série paradise m'a donné très envie de le relire!

    Posté par ogressedeparis, 17 décembre 2012 à 16:35 | | Répondre
    • Je ne connais pas du tout. Je vais me renseigner.

      Posté par Lili Galipette, 18 décembre 2012 à 17:38 | | Répondre
  • C'est un de mes préférés parmi les livres de Zola

    Posté par Kikine, 17 décembre 2012 à 17:16 | | Répondre
  • Sans aucun doute mon préféré des Zola lus jusqu'ici. Il m'en reste une dizaine et ça fait déjà bien trop longtemps que je ne me suis plus plongée dans les Rougon Macquart. Il va falloir y remédier en 2013...

    Posté par zarline, 17 décembre 2012 à 19:04 | | Répondre
  • Très joli billet ma Lili ! Il me donne envie de renouveler ma garde-robe. Que j'ai aimé ce roman découvert quand j'étais lycéenne ! Et j'avais l'impression de replonger dans cette atmosphère quand, à Valence, existaient encore les 2 grands magasins "Les Nouvelles Galeries" et "Les Dames de France", devenu depuis le centre Victor Hugo. En fin de compte, le centre Emile Zola aurait encore plus de sens...

    Posté par mamanous, 18 décembre 2012 à 10:14 | | Répondre
    • J'aime paaaaaas les grands magasins !! Tout le monde se pousse, se bouscule, s'écrabouille. Berk !

      Posté par Lili Galipette, 18 décembre 2012 à 17:40 | | Répondre
  • C'est une des histoires les moins sombres. Il est plus facile d'y adhérer.

    Posté par Lili Galipette, 18 décembre 2012 à 17:39 | | Répondre
  • Non, non même pas honte, toujours pas lu Zola...

    Posté par liliba, 21 décembre 2012 à 21:35 | | Répondre
  • Il faut que je lise ce roman...je l'ai dans ma bibliothèque et il me plait beaucoup...je vais essayer de faire cela en 2013! Ton article donne envie en tout cas!

    Posté par Accalia, 27 décembre 2012 à 10:46 | | Répondre
  • j'ai beaucoup aimé celui-ci

    Posté par Melusine1701, 03 janvier 2013 à 13:00 | | Répondre
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