Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

05 juin 2014

Le bagne de la honte

Bertocchini_Bagne de la honte_1Bande dessinée de Frédéric Bertocchini (scénario) et Éric Rückstühl (dessins).

Tome 1 : Castelluciu

Joachim Evain, petit orphelin breton de 11 ans, est envoyé en Corse, à la colonie agricole de Saint-Antoine. Il s’agit en fait d’un bagne pour enfants. « Nous venions de toute la France. Vagabonds, voleurs, fortes têtes, orphelins… Napoléon III voulait éradiquer toute cette « mauvaise graine. » (p. 12) Là-bas, il se lie d’amitié avec Antoine Teurice, à peine plus âgé que lui. La vie au bagne est difficile : entre les travaux éreintants, les mauvais traitements et les sinistres penchants de certains détenus plus âgés, les jeunes prisonniers doivent s’endurcir s’ils veulent survivre. « Nous autres, les bagnards en culotte courte, étions condamnés jusqu’à nos vingt ans… Autant dire que c’est notre jeunesse qu’on nous volait. » (p. 14) Joachim, sans cesse, tente d’échapper aux brutalités de Xavier Trouvé, jeune bagnard défiguré qui est bien décidé à imposer sa loi sur les plus faibles et les plus petites.

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Bertocchini_Bagne de la honte_2

 

Tome 2 : Francesca

Les jeunes bagnards du premier tome ont grandi. « Sous le drapeau de la République, nous autres, les enfants, on nous remplissait de haine. » (p. 13) Désormais, c’est Joachim qui protège les plus petits. En secret et avec la complicité d’un gardien, il vit une idylle avec Francesca, une jeune fille corse. Hélas, un autre gardien, Giocanti, n’a aucune indulgence pour les jeunes prisonniers et ne leur accorde aucun instant de répit ou de bonheur. Au bagne de Saint-Antoine, les enfants meurent par dizaines, par centaines : accidents, malnutrition et suicides sont dissimulés derrière le vocable général de maladie. Pas question de laisser entendre en haut lieu que les jeunes bagnards vivent dans des conditions épouvantables. Il faut donc qu’une voix s’élève et crie la vérité. Et quelle voix est mieux placée que celle d’Antoine Teurice, survivant du bagne de la honte ?

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Bertocchini_Bagne de la honte_integrale

Ce terrible épisode du Second Empire est une verrue de l’histoire, ainsi que la qualifie Frédéric Bertocchini. La définition est juste : des enfants traités comme des adultes et maltraités comme s’ils étaient les pires vermines, voilà qui a de quoi indigner quand on tourne les pages d’un manuel d’histoire. Sauf que… ce n’est pas le genre de choses dont on parle dans les manuels. Il fallait l’ouvrage de Frédéric Berocchini et d’Éric RückStülh pour ouvrir nos yeux. Cette bande dessinée est pleine de violence, mais nécessaire. Pour de nombreux personnages, pas de fin heureuse, rien que la peine et la mort. Les dessins d’Éric Rückstühl rendent hommage à la souffrance des jeunes victimes de l’administration française : les visages et les corps sont tourmentés, mais il émane d'eux la grâce farouche propre aux innocents privés d'espoir. Et même si les paysages corses sont de toute beauté, ils restent le sinistre décor d’une mise à mort minutieuse et impardonnable.

Posté par Lili Galipette à 08:00 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [5] - Permalien [#]

Commentaires sur Le bagne de la honte

  • Il y a eu hélas beaucoup d'autres cas de ce genre et dans d'autres pays. Honte à une nation qui détruit ainsi l'innocence ! Elle détruit son propre avenir. Pauvres petits aux destins tragiques, les larmes me montent aux yeux rien que d'y penser !

    Posté par Mamanous, 07 juin 2014 à 18:51 | | Répondre
    • Je te prêterai la BD ! Que je te dois d'ailleurs, mère Noël !

      Posté par Lili Galipette, 07 juin 2014 à 19:51 | | Répondre
  • Voilà qui me rappelle le père Hugo fustigeant ceux qui autorisaient ainsi le travail des enfants. Pour une fois, il n'avait pas tort (ça te fait plaisir, hein !)

    Posté par Lydia B, 08 juin 2014 à 12:22 | | Répondre
    • Dans ses textes, Hugo avait toujours raison. A la maison, c'était un gros naze !

      Posté par Lili Galipette, 08 juin 2014 à 21:35 | | Répondre
      • Je ne commenterai pas...

        Posté par Lydia B, 09 juin 2014 à 11:24 | | Répondre
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