Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

13 janvier 2015

Qui dira la souffrance d'Aragon ?

Guegan_Qui dira la souffrance dAragonRoman de Gérard Guégan.

En 1952, Louis Aragon, poète reconnu et admiré, a 55 ans. Étienne Mahé, émissaire du Kominform, en 28. « Aragon est un égoïste. Mahé déteste les égoïstes. Ce sont des planches pourries. Sas doute, mais Mahé ne peut qu’aimer Aragon et être malheureux. » (p. 243) Ils se croisent alors qu’un procès d’importance se prépare au sein du parti du communiste : Tillon et Marty seraient des traîtres et Jeannette Thorez, la femme de Maurice, malade et retenu en Russie, n’est pas la dernière à le dire. Pour Aragon et Mahé, ce procès politique offre une courte semaine de passion, mais ces amours clandestines tiennent dans une parenthèse amoureuse close avant le premier baiser. « La vraie question, ce n’est pas de savoir si c’est un coup de foudre, la vraie question, c’est de se demander s’il y aura un lendemain. J’ai envie de te répondre que oui, mais, tu le sais, nous sommes des clandestins et nous sommes condamnés à le rester. » (p. 141) Clandestins, Aragon et Mahé le sont aux yeux du parti qui apprécie les invertis encore moins que les traîtres. « L’histoire d’un temps, et d’un parti, où le reniement de soi était souvent le prix à payer pour échapper à l’exclusion. » (p. 9) Clandestins, ils le sont aussi aux yeux d’Elsa qui, si elle n’a aucune preuve, sait que son mari, dans l’intimité, n’est pas tout à fait sien.

En six jours, moins de temps qu’il n’en faut pour construire un monde, Aragon et Mahé se livrent à la passion, méprisant pour quelques heures la tyrannie du parti et les regards de la société. Pédéraste flamboyant, à l’image d’un Oscar Wilde, Aragon a tout de même un ruban à la patte : Elsa, croqueuse d’hommes par jalousie, couche avec tous ceux qu’elle espère ainsi soustraire à Louis et lui rappelle qu’il aurait mauvais compte de la quitter. L’idylle avec Mahé est alors une nouvelle blessure à porter au tableau d’honneur d’Aragon le surréaliste, d’Aragon le résistant.

Gérard Guégan imagine la passion éphémère entre les deux hommes comme on jouerait à un jeu d’enfant : on dirait qu’Aragon et Mahé auraient une histoire d’amour… Peu importe que ce soit vrai : la force du texte est de faire d’Aragon un personnage, lui qui en a tant créé. Et Paris devient la scène d’une pièce qui hésite entre le vaudeville et le drame. S’il est certain que Mahé n’a pu entrer que par la petite porte, la souffrance d’Aragon a très certainement quitté les planches par la grande, celle que l’on ouvre sur la littérature.

Posté par Lili Galipette à 08:00 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [13] - Permalien [#]

Commentaires sur Qui dira la souffrance d'Aragon ?

  • Je viens d'apprendre quelque chose là par rapport à la sexualité d'Aragon !

    Posté par Lydia B, 13 janvier 2015 à 20:53 | | Répondre
  • Ah ben moi aussi !! J'en étais restée à son Elsa !!

    Posté par Mamanous, 15 janvier 2015 à 18:42 | | Répondre
    • Les entretiens (et apparemment la relation qu'il a eu avec André Breton) sont assez éloquents.

      Posté par Lili Galipette, 15 janvier 2015 à 19:11 | | Répondre
  • Le titre est beau ! je savais un peu pour Aragon mais tant d'hommes étaient ainsi à cette époque, se cachant, s'exhibant avec une femme pour donner le change ! Elsa aura eu une postérité littéraire grâce aux hommages d'Aragon, c'est une consolation !

    Posté par Asphodèle, 30 janvier 2015 à 11:03 | | Répondre
    • Pour ma part, je n'avais pas imaginé cette facette d'Aragon. Ses textes sur Elsa sont si puissants que je le voyais indéfectiblement amoureux des femmes. Mais après tout, l'amour a tous les visages.

      Posté par Lili Galipette, 30 janvier 2015 à 12:44 | | Répondre
  • Il est fort ce Gérard Guégan, il oublie juste de dire la haine tenace qu'il voue à Aragon.... En ces temps nauséabonds, contre les juifs, les arabes, et les homos bien sur. Facile de salire cet intellectuel, grand résistant de la seconde guerre, poête de la résistance. Oui Aragon a finit sa vie avec un homme, mais il a eu 3 amours dans sa vie, Nancy Kunard, Elsa Triolet et Jean Ristat. Elsa restera certainement le plus grand amour de sa vie, son inspiration, celle pour qui la maison esst resté en l'état à sa mort, le calendrier resté figé sur ce triste jour. Alors Mr Guéguan, votre victoire est bien facile, lorsque personne ne peut répondre...

    Posté par vvvsss, 18 février 2015 à 21:10 | | Répondre
  • Ce n'est probablement pas à moi qu'il faut écrire cela, je ne suis pas Gérard Guégan.

    Et comme dit dans mon billet tout à fait personnel, j'ai lu ce texte comme un roman, pas comme une biographie.

    Merci de votre passage, bien qu'anonyme et intraçable. Difficile de vous répondre également.

    Posté par Lili Galipette, 19 février 2015 à 07:20 | | Répondre
  • Jérôme Garcin va nous parler de son livre ce soir,nous saurons ce qu'il pense,mais la réalité .....seul Aragon aurait pu la dire.

    Posté par Bab., 19 février 2015 à 17:31 | | Répondre
  • Jérome Garcin ? Ou Gérard Guégan ?

    Posté par Lili Galipette, 19 février 2015 à 18:26 | | Répondre
  • Je n'ai pas répondu annonymement. J'ai renseigné mon adresse mail. Mon commentaire n'était pas une "critique" de votre "critique". Juste une observation un peu éclairée car très proche du premier créateur et régisseur du musée Aragon-Triolet.
    Par ailleurs, même si c'est un roman, les écrits restent et peuvent "abimer" l'image de celui qui sert de modèle. Et pourtant, même s'il n'était qu'un homme il n'a pas toujours été épargné!

    Posté par vvvsss, 19 février 2015 à 18:41 | | Répondre
  • Gérard Guégan!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

    Posté par Bab., 19 février 2015 à 19:54 | | Répondre
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