Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

21 mai 2015

La Pleurante des rues de Prague

Germain_Pleurante des rues de pragueRécit de Sylvie Germain.

« Et le livre qui suit, n’étant composé que des traces de ses pas, s’en va lui aussi au hasard. » (p. 17) La narratrice évoque une femme, une boiteuse qui apparaît parfois dans les rues de Prague. « Mais comment rédiger une chronique des déambulations d’une inconnue qui ne surgit que par intermittence dans l’espace du visible ? » (p. 18) Cette inconnue sans visage, aux sanglots infinis, convoque la présence d’autres souffrants, disparus ou perdus. La Pleurante des rues de Prague est une passeuse de douleurs et de souvenirs. « Ce sont les larmes d’inconsolés qui bruissent dans le grand corps immatériel de la pleurante des rues de Prague, et ces inconsolés sont aussi bien des vivants que des morts. » (p. 39) En suivant cette boiteuse qui porte sur elle et en elle toutes les peines du monde, on découvre un itinéraire secret de la ville tchèque et on est précipité dans une Europe sur laquelle sont retombées les cendres de trop nombreuses étoiles jaunes.

Ce récit, compilation des apparitions de cette géante claudicante, touche à la mystique et à la métaphysique. Il a des allures de contes, tant dans l’apparence que dans la progression. La Pleurante est une allégorie de la douleur et de la pitié. « Elle n’était pas née d’une femme, mais de la douleur de tous et de toutes. » (p. 34) En essayant de saisir la silhouette de la Pleurante, l’auteure montre un corps incertain fait de mémoire. « Elle n’est cependant nullement un fantôme, une fossilisation du passé. Elle n’est pas davantage une prophétesse. Elle n’annonce rien. Elle est la peau du temps ; du temps qui passe et glisse et disparaît […]. Elle est la peau du temps, du temps des hommes. […] La peau du cœur humain. » (p. 60) Sylvie Germain tisse délicatement une réflexion sur les absents et les disparus et sur le gouffre qu’ils laissent en ceux qui restent, rappelant que l’humain n’est qu’incertitude et fugacité.

La Pleurante des rues de Prague est à mettre en regard de l’essai de cette auteure, Mourir un peu. Ces deux textes sont saisissants de beauté, étourdissants de sublime.

Lisez les romans de Sylvie Germain, je vous promets de belles heures et des éblouissements.

Le livre des nuitsJours de colère Tobie des maraisChanson des mal-aimants

Posté par Lili Galipette à 08:00 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [4] - Permalien [#]

Commentaires sur La Pleurante des rues de Prague

  • C'est vrai qu'elle écrit bien. Je l'ai découverte il n'y a pas si longtemps que ça et j'ai été agréablement surprise par la puissance évocatrice de son écriture.

    Posté par Lydia B, 21 mai 2015 à 08:37 | | Répondre
  • Je sens que je vais l'adorer celui-ci, je vais regarder si je l'ai (oui j'en ai d'avance) (en cas de crise aigüe) !!! Par contre, je n'ai pas son essai, je vais y remédier... Ton billet me donne envie de m'y jeter de suite...

    Posté par Asphodèle, 21 mai 2015 à 16:29 | | Répondre
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