Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

08 décembre 2015

La dernière nuit du Raïs

Khadra_Derniere nuit du raisRoman de Yasmina Khadra.

Terré dans un bâtiment désaffecté, à Syrte, Mouammar Kadhafi refuse de croire que les rebelles peuvent renverser son pouvoir et lui retirer le contrôle de la Libye. « Si je suis encore en vie, c’est la preuve que rien n’est perdu. Je suis Mouammar Kadhafi. Cela devrait suffire à garder la foi. Je suis celui par qui le salut arrive. » (p. 12) Kadhafi est certain d’être un bon guide, d’avoir tout fait pour le bonheur de son peuple, alors pourquoi cette révolte ? De l’incompréhension à la colère en passant par la désillusion, la dernière nuit du tyran libyen est l’occasion d’exhumer des souvenirs et de compter les pertes. Non, la Libye ne peut pas tomber comme est tombée la Tunisie. Le printemps arabe, non, ce n’est pas possible. « Les révoltes arabes m’ont toujours barbé, un peu comme les montagnes qui accouchent d’une souris. » (p. 43)

Il est loin le petit bédouin qui n’avait que sa hargne et son ambition pour faire oublier l’absence de son père. Fasciné par Van Gogh et la beauté des femmes, Kadhafi semble parfois être un esthète incompris, un génie que l’histoire méprise. « L’orgueil est allergique à la raison. Quand on a dominé les peuples, on s’oublie sur son nuage. »  (p. 192) Mais à mesure que ses proches perdent courage et la confiance aveugle qu’ils lui vouaient, le raïs, le « chef » perd peu à peu de sa superbe. Le culte de la personnalité dressé à son image s’écroule. « Je suis seul face au destin, et le destin regarde ailleurs. » (p. 171)

Son ultime tentative de fuite se termine par le lynchage que l’on sait. Le temps d’une nuit, le lecteur a été plongé dans la folie sublime et baroque de la mégalomanie. « On raconte que je suis mégalomane. C’est faux. Je suis un être d’exception, la providence incarnée que les dieux envient, et qui a su faire de sa cause une religion. » (p. 88 & 89) En donnant la parole à celui que le peuple a foulé aux pieds et dont la mort a donné lieu à des réjouissances, Yasmina Khadra ne rend pas d’hommage. Il ne célèbre pas et il ne porte pas aux nues. Il imagine simplement les derniers instants d’un être dont l’existence est devenue une légende. Il en va des tyrans comme des statues : en les déboulonnant, on les remet en perspective et on les ramène à hauteur d’homme.

Posté par Lili Galipette à 08:00 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [5] - Permalien [#]

Commentaires sur La dernière nuit du Raïs

  • Je garde la référence sous le coude.

    Posté par Lydia B, 08 décembre 2015 à 13:01 | | Répondre
  • Très rapide à lire, je confirme. Je l'ai acheté lorsqu'il est venu aux Mots Doubs, et j'ai été vraiment heureuse de rencontrer cet auteur car j'ai beaucoup d'admiration pour lui. C'est un bon livre, même si je garde L'Attentat en haut de la liste de mes préférences.

    Posté par Ana, 14 février 2016 à 13:37 | | Répondre
    • J'ai lu "L'attentat" quand j'étais plus jeune. Trop jeune probablement. Je n'avais pas compris l'intérêt du livre. Il faudrait que je le relise.

      Posté par Lili Galipette, 14 février 2016 à 15:38 | | Répondre
      • Je l'ai lu quand j'avais 18-20 ans je pense. J'avais adoré. Peut-être que si je le relisais je serais moins emballée. Je ne vais pas m'y risquer car dernièrement j'ai relu un Cauwelaert qui m'avait laissé un souvenir vraiment fort, et je l'ai trouvé presque quelconque. Je ne veux pas risquer à nouveau ce genre de "déception".
        Mais bon, j'ai lu dernièrement Les Sirènes de Bagdad, qui est dans la trilogie, avec l'Attentat et Les Hirondelles de Kaboul, et j'ai beaucoup aimé...

        Posté par Ana, 16 février 2016 à 14:14 | | Répondre
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