Des galipettes entre les lignes

Chroniques littéraires.

01 octobre 2019

Histoire d'Adrián Silencio

Pourriat_Histoire dAdrian SilencioRoman d’Éléonore Pourriat.

Cléo s’interroge depuis toujours sur son grand-père espagnol, Adrián Silencio. « Il y a ce que je sais, ce que je crois, ce que je crois savoir, et évidemment tout ce que je ne sais pas et tout ce que je ne saurai jamais. Quelques photos aussi. » (p. 13) Musicien dans des orchestres de tango, l’aïeul a fui l’Espagne franquiste et s’est installé en France où il a fondé une deuxième famille. Sur le point de s’installer aux États-Unis, Cléo sent qu’il est temps pour elle d’écrire l’histoire de cet homme et de renouer avec ses origines. « J’ai la sensation déjà de me défaire d’un carcan, d’opérer ma mue grâce à l’histoire ébauchée d’Adrián Silencio. » (p. 99) En quête d’informations, elle interroge sa grand-tante, son oncle, la mère, Google et les archives. Et elle fouille le cartable dans lequel son grand-père a accumulé toute une vie de paperasse et de lettres. « Ai-je le droit de déterrer les souvenirs qu’un homme a mis une vie à ensevelir ? » (p. 130) Des lieux et des noms inconnus surgissent. Le puzzle est immense et tant de pièces manquent. Lançant des messages à travers l’Atlantique, Cléo est déterminée à retrouver sa famille d’Espagne et à établir sa filiation ascendante pour mieux la transmettre à ses contemporains.

Ce roman m’a beaucoup rappelé le Madeleine Project de Clara Beaudoux. Entre travail de mémoire et travail d’archives, la lente reconstitution du passé par Cléo tient de la quête identitaire et du voyage initiatique. Il n’est pas anodin que l’orthographe du prénom de l’aïeul change à mesure que Cléo rend à l’homme toute sa dimension espagnole : Adrien devient Adrian et enfin Adrián. En rendant à l’immigré son identité originelle, Cléo corrige son arbre généalogique en même temps qu’elle le complète de toutes les branches qu’elle découvre. Certains liens sont impossibles à tisser et des portes restent closes parce que la mort est passée avant et a éteint à tout jamais de précieuses mémoires. « N’est-il pas déjà trop tard ? Les grands-parents ne sont plus là pour témoigner et les parents sont à court de mots. » (p. 46) Portée par le fantasme d’une grande famille, Cléo n’a de cesse de rechercher les vivants pour faire parler les morts.

À la dictature de Franco répondent les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, chaque époque étant marquée par sa terreur propre. Si les bourreaux changent, aucune génération n’échappe aux blessures. Avec cette fresque familiale vibrante d’espoir, Éléonore Pourrait signe un très beau premier roman où sa narratrice reprend en main sa vie en écrivant celle de celui dont elle ignorait presque tout.

Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.

Posté par Lili Galipette à 08:00 - Mon Alexandrie - Lignes d'affrontement [6] - Permalien [#]

Commentaires sur Histoire d'Adrián Silencio

  • Cela me fait penser qu'il y a tant de choses que l'on ignore sur la branche espagnole de notre famille !! Et les derniers témoins sont bien âgés...

    Posté par Mamanous, 03 octobre 2019 à 11:48 | | Répondre
  • N'est-ce pas ? Raison pour laquelle, grâce à Ludovic, j'ai repris contact avec la cousine Christine ! ☺

    Posté par Lili Galipette, 03 octobre 2019 à 12:10 | | Répondre
  • Ah ça y est ? C'est chouette !!

    Posté par Mamanous, 04 octobre 2019 à 00:26 | | Répondre
  • Je l'ai vu passer celui-ci... Il faudra que je m'y intéresse, tiens ! Moi aussi j'ai tout une branche espagnole par mon grand-père maternel.

    Posté par Lydia B, 12 octobre 2019 à 18:40 | | Répondre
  • Encore un point commun entre nous ! <3

    Posté par Lili Galipette, 14 octobre 2019 à 06:02 | | Répondre
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